Qu’est-ce que la vocation ? Par Sœur Nathalie Becquart

Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire au secrétariat du synode des évêques à Rome depuis février 2021, a été directrice du service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations de la conférence des évêques de France de 2012 à 2018. Dans cet article publié sur Aleteia que nous reprenons avec l’aimable autorisation de son auteure et d’Aleteia, Sœur Nathalie Becquart développe ce qu’est la vocation.

Au-delà des différents niveaux de sens que l’on donne au mot « vocation », il faut reconnaître que nous ne construisons pas notre vie tout seul mais que nous la recevons d’un Autre qui nous appelle à la Vie et nous la donne en premier lieu à travers nos parents. Dans une vision biblique, la vie est reçue de Dieu, qui nous appelle chacun d’une manière unique et particulière, mais toujours en peuple, avec d’autres. En ce sens, toute vie est vocation, parce que nous ne sommes pas seuls.

Toute vie est vocation

Il y a plusieurs manières de définir la « vocation » car cela peut faire référence à différents registres. Quand quelqu’un entend ce mot, selon ce qu’il a en tête, cela peut signifier des choses assez variées. Certains pensent que la vocation n’est que pour certaines personnes. Ou alors, parfois, on parle de vocation pour certains métiers : « J’ai une vocation de médecin, j’ai une vocation de prof. » Pour d’autres, cela peut faire référence à une vocation de prêtre ou de religieux/religieuse ; certains pensent qu’il n’y a que les consacrés ou ministres ordonnés qui ont une vocation. Pour d’autres, c’est un gros mot qui fait peur ou encore « une tuile qui peut nous tomber dessus ». Et puis, pour les chrétiens, c’est un mot important qui traverse toute la Bible qui nous donne à découvrir que Dieu se révèle aux hommes en appelant. Ainsi, une définition de la vocation enracinée dans la Bible nous fait comprendre le sens de la racine latine vocare qui veut dire « appeler ». Dieu appelle chacun ; toute vie est vocation parce que nous la recevons, nous ne la construisons pas seuls à la force du poignet et nous ne la subissons pas.

Le premier appel vient de nos parents

Le premier mot qui va avec « vocation », c’est donc le mot « appel » : parler de vocation, c’est comprendre que nous sommes des sujets appelés, précédés ou encore, pour reprendre la belle expression du philosophe Paul Ricœur, des « sujets convoqués ». Et la première chose qui est basique, fondamentale, quand un petit bébé naît, c’est qu’il va être « appelé » par ses parents qui lui donnent un prénom. Ce n’est pas lui qui choisit son prénom.  Cela nous dit que le premier appel que l’on reçoit est finalement un appel à la vie : on reçoit la vie de ses parents. Nous ne pouvons vivre sans les autres qui, en nous appelant, nous font grandir dans la vie.

Plus fondamentalement, la vie est reçue de Dieu, qui nous appelle lui aussi de manière unique et particulière. Comme chrétien, on va découvrir et nommer Dieu-Trinité comme la source de cette Vie qui nous précède et que nous recevons : on n’en est pas l’auto-producteur. Plus nous prenons conscience que tout ce que nous sommes et avons est un don reçu, plus nous sommes dans la gratitude et la reconnaissance pour l’immensité de ce don gratuit, plus découvrons que nous sommes faits pour donner ce que nous avons reçu. Fondamentalement, notre vie vient de Dieu et elle retourne à Dieu. Dieu nous crée chacun de manière unique et il appelle chacun d’une manière singulière : chacun a un appel particulier qui l’insère au milieu des autres. C’est pourquoi notre vocation a toujours une dimension communautaire et nous pouvons dire que l’Église est mère des vocations. Ainsi, discerner sa vocation, c’est découvrir par et à travers les autres cet appel singulier de Dieu à soi et lui répondre librement en se donnant.

Un chemin de bonheur

La vocation est un chemin de bonheur qui me rend heureux en rendant les autres heureux car, fondamentalement, notre vocation est une vocation à l’amour — aimer et être aimé — qui conduit au bonheur. Pour les chrétiens, cet appel est une vocation à la sainteté et à l’idéal élevé d’une vie de service tournée vers les autres. Les baptisés ont vocation à suivre le Christ en disciples missionnaires selon différents chemins et différents états de vie.

Finalement, notre vocation fondamentale est une vocation à l’amour et au bonheur. Jean-Paul II nous a rappelé que l’amour est la vocation fondamentale et profonde de chaque être humain. Pour qualifier la vocation, on pourrait dire que c’est une manière de voir la vie, de la recevoir, de la donner, parce que notre vie est faite pour la vie, pour l’amour, pour porter du fruit.

Appelés à la sainteté

Comme baptisés, nous sommes tous appelés à la sainteté, finalement à vivre comme le Christ. La vocation n’est pas un concept, mais d’abord et avant tout un chemin de vie pour soi et pour les autres. Notre existence est vocation, c’est-à-dire que l’on est appelé à être, on est appelé à vivre, on est appelé à grandir, on est appelé à aimer et servir et on est appelé à vivre dans l’amour avec les autres. C’est notre vocation fondamentale. Ce qui est premier, c’est notre vocation à la vie pour grandir en humanité. Mais, comme chrétiens, nous savons que le chemin vers la vie en plénitude à la suite du Christ est un chemin d’offrande en forme de traversée pascale, de passage par la Passion pour entrer dans la lumière de la Résurrection.

Les baptisés ont vocation à suivre le Christ selon différents chemins et états de vie. Par le baptême qui nous plonge dans la mort et la Résurrection du Christ, nous sommes configurés au Christ, c’est-à-dire appelés à vivre comme le Christ, à le suivre de plus près. À partir de cette vocation baptismale, commune à tous les chrétiens, on peut ensuite parler du registre de la « vocation » comme un choix de vie, une manière de vivre dans un état de vie. C’est là que l’on peut présenter les différentes voies que sont la « vocation au mariage », la « vocation à la vie consacrée », la « vocation de prêtre ». Sur le fond d’une unique vocation du fait d’être baptisé, il y a des chemins, des vocations différentes qui vont s’exprimer dans des états de vie différents.

Une grande aventure

La vocation est assurément une grande aventure, qui va se déployer sur toute la durée de la vie. On peut dire beaucoup de choses sur la vocation mais, finalement, c’est quand même un mystère, qui nous fera cheminer tout au long de notre vie, en traçant notre propre route, à l’écoute de Dieu et des autres. La vocation est un peu comme une œuvre d’art : un chemin à inventer avec Dieu à partir de la réalité concrète de nos vies. Toute vocation est une incarnation.

Vivre en recevant la vie comme une vocation et en discernant sa vocation nous fait avancer toujours plus au large et plus profond, au-delà de nos images premières. C’est une manière de vivre en réponse à un appel qui nous précède, que l’on reçoit de Dieu et que l’on va essayer de discerner et de traduire concrètement dans des choix, dans une manière de vivre concrète qui est une aventure humaine et spirituelle : c’est l’aventure de la vie, de la liberté, de l’amour. Finalement, l’aventure de la vie plus grande.

De l’ordre du mystère

La vocation demeure un mystère car c’est quelque chose qui nous dépasse : on n’a jamais fini de découvrir vraiment quelle est sa vocation profonde, de la suivre, de la traduire en actes et de mettre des mots dessus. Notre Dieu est insaisissable. Notre vocation est ainsi de l’ordre du mystère, le mystère même de Dieu.

Dieu nous crée à son image, avec cette vocation d’être créateur à son image tout au long de la vie. La vocation n’est pas quelque chose de figé, que l’on aurait découvert et fixé une fois pour toutes. C’est une dynamique qui nous met toujours en mouvement, qui se dessine en marchant avec Dieu, c’est une traversée jusqu’à la vraie Vie. Il y a une chose qui est effectivement posée à un moment, qui est discernée à l’intérieur de cette vocation fondamentale à la vie : c’est de poser un choix à travers un engagement durable — se marier, devenir prêtre ou devenir religieux, religieuse. Parfois on se dit à tort : « Une fois que j’ai posé cet engagement-là, voilà, le chemin est fini. » Mais non ! Parce qu’après, comme homme ou femme marié, quelle est ma vocation propre ? Il n’y a pas deux couples identiques, il n’y a pas deux maris et deux femmes identiques. Et c’est pareil pour la vie religieuse. Il y a plein de manières d’être prêtre ou d’être religieux ou religieuse. Dans l’Église, chacun reçoit un charisme particulier, un don pour le service de tous, et n’a jamais fini de le découvrir et le déployer.

Comme une œuvre d’art

Ainsi, c’est le Christ lui-même qui nous montre notre vocation profonde. Lui-même a eu une vocation de Fils qui reçoit tout de son Père et qui redonne tout ce qu’il a reçu. Le premier à nous montrer ce qu’est la vocation (car il a parfaitement répondu à sa vocation), c’est le Christ, le Fils de Dieu. C’est dans la vocation du Christ que s’enracinent toutes les vocations. On entend parfois les jeunes qui se posent la question de leur vocation : « Pourquoi suis-je fait ? Quel cap pour ma vie ? » Certains me disent parfois : « Comment être sûr de ma vocation ? », attendant un signe clair tombé du ciel, comme si c’était quelque chose de tout fait, déjà inscrit précisément dans le plan de Dieu et qu’il faudrait décrypter. Mais non : le chemin n’est pas déjà tracé d’avance. Dieu nous crée créateurs à son image : il n’a pas écrit notre vie à l’avance, ce qui ferait de nous des marionnettes. La vocation, c’est vivre sa vie avec Dieu en l’inventant avec lui. C’est bien de l’ordre d’une œuvre d’art, en sachant que l’on ne part pas de rien : je suis né à tel endroit, je suis construit de telle manière, mais je désire construire ma vie avec Dieu en me laissant convertir et donc poser mes choix en me laissant conduire par l’Esprit et non par mes désirs superficiels qui étouffent mon désir profond. La vocation nous rend libres, toujours plus libres et nous humanise.

Une mission vers les autres

Un des signes que l’on est bien sur le chemin de notre vocation profonde, c’est de marcher vers une unification intérieure, une plus grande liberté, un plus grand amour. La vocation nous met sur un chemin qui donne plus de vie, qui porte du fruit pour les autres. C’est pour cela que toute vocation est mission. C’est quelque chose de très important, c’est-à-dire que l’on ne reçoit jamais cette vocation d’abord et uniquement pour soi-même. On reçoit une vocation pour les autres, pour le service de l’Église et du monde. Et le signe que l’on est sur le chemin de sa vocation, c’est justement qu’il y a une fécondité : on porte du fruit pour les autres. Ce n’est pas seulement un chemin qui va me rendre heureux, moi, mais qui va rendre les autres heureux.

J’aime beaucoup cette définition du théologien américain Frederick Buechner : A vocation is the place God calls you where your deepest gladness meets the world’s deepest hunger — « Une vocation, c’est le lieu où Dieu t’appelle pour que ta plus grande joie y rejoigne la plus grande faim du monde ». La vocation est l’endroit où notre joie la plus profonde répond aux besoins les plus criants du monde. C’est la rencontre entre le cri, la souffrance du monde qui va me toucher, moi, et me faire entrer dans une joie profonde. On peut penser à la vocation de Moïse. Quand Dieu l’appelle, il lui dit : « « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple et j’ai entendu sa supplication. […] Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les Fils d’Israël » (Ex 3, 1-10).

Être à l’écoute pour discerner sa vocation

C’est pour cela que, pour découvrir et discerner sa vocation, il est très important d’être à l’écoute de Dieu, de sa Parole, dans la prière, dans les sacrements. Cela fait penser à la vocation de Samuel dans l’Ancien Testament aussi : il ne reconnaît pas tout de suite la voix de Dieu. Cela passe toujours par une écoute, mais une écoute qui n’est pas forcément en soi, toute seule, intérieure (on voit parfois cela à travers la Parole de Dieu) ce peut être aussi une écoute des mouvements et des cris du monde. On peut reprendre aussi l’appel de Pierre ou l’appel des apôtres : « Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19). Le Christ appelle les apôtres pour les associer à sa mission. Claire Monestès, la fondatrice de ma communauté, disait une phrase que j’aime beaucoup : « Toute vocation est une incarnation. » On le voit bien d’ailleurs dans la réponse de Marie à l’ange à l’Annonciation (Lc 1, 38) : Marie est un modèle pour nous, elle est celle qui a répondu à l’appel du Christ, elle a emprunté le chemin de Dieu. À l’Annonciation, Marie, façonnée par la Torah, a dit « oui » à l’accueil du Verbe et permet l’Incarnation. Là aussi, on peut voir le signe que l’on est dans sa vocation quand on est sur un chemin d’incarnation. Cela nous ancre toujours davantage dans la réalité concrète de la vie… Si la réponse à un appel nous déconnecte de la réalité et nous fait fuir le monde, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas, car notre vocation comme chrétiens est de vivre ici-bas dans la complexité du monde, même si notre vocation ultime est au-delà : on vient de Dieu, de l’amour trinitaire, on est fait pour retourner à Dieu… Ce que l’Église nous dit aussi, c’est que sur cette Terre, la vie est un pèlerinage : l’Église est en pèlerinage sur la Terre.

Notre pèlerinage sur Terre

C’est toute une dynamique : il faut voir cet appel comme quelque chose qui met en marche. On le voit bien d’ailleurs après l’Annonciation : qu’a fait Marie quand elle a répondu oui ? Elle est partie tout de suite à la rencontre de sa cousine Elizabeth, elle aussi enceinte (Lc 1, 39). La vocation nous met en route, elle nous met toujours en mouvement vers les autres et elle fait creuser toujours plus simultanément la relation à Dieu et la relation aux autres. Le premier critère de discernement vocationnel est celui d’un plus grand amour de Dieu qui conduit à aimer davantage son prochain… Aimer Dieu, c’est aimer les autres. Aimer et servir Dieu, c’est aimer et servir les autres. La vocation de disciple du Christ est fondamentalement et structurellement ecclésiale et communautaire. C’est pourquoi nous avons aussi besoin de la médiation de l’Église pour discerner notre vocation.

Finalement, vivre sa vie comme une vocation, c’est une herméneutique de la vie, c’est-à-dire que c’est une manière de voir la vie, de se comprendre en Dieu, et d’agir en réponse à un appel dans une attitude de don suscitée par la reconnaissance et la gratitude. C’est donc aussi une manière de se comprendre comme un sujet, une personne convoquée, appelée à répondre à un Autre, quelle qu’elle soit la réponse. Qu’est-ce finalement que trouver sa vocation ? C’est une manière de chercher et de trouver sa place dans l’Église et dans la société.

Un chemin reçu, dans la liberté

Souvent, aujourd’hui, on voit beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui oscillent entre deux conceptions de la vie. Certains voient la vie comme quelque chose qui se construit à la force du poignet de manière très volontariste — et on voit bien aujourd’hui comment certains vont jusqu’à imaginer qu’on peut tout décider, choisir, construire, y compris presque choisir son sexe — avec parfois une conception très « constructiviste » de la vie. Mais ce n’est pas vrai : on ne s’auto-construit pas seul. D’autres nombreux, à l’inverse, voient l’existence comme un destin que l’on subit, sans marge de manœuvre. La conception chrétienne de la vie comme vocation est un autre chemin qui nous fait découvrir la vie comme quelque chose qui ne part pas de rien, que l’on reçoit en grande partie, mais qui est aussi à inventer dans la liberté : Dieu n’impose jamais son appel. Son appel attend une réponse libre, c’est pourquoi nous pouvons jamais être certains à 100% que nos choix sont bons. Mais c’est en posant des choix réfléchis, priés et discernés que l’on devient libres et créateurs à l’image de Dieu.

Une contribution de Sr Nathalie Becquart initialement publiée sur le site Aleteia le 12 février 2021, reprise ici en intégralité avec l’aimable autorisation de son auteure et de la direction en chef d’Aleteia.

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