La « crise » des vocations
Les raisons de la crise
Il est indispensable, pour comprendre cette crise, de la situer dans la mutation de société, pour ne pas dire de civilisation, qui concerne la France et tous les pays dits développés. Il est devenu banal de penser que nous sommes dans une période semblable à la fin du Moyen-Age ou de l’Empire Romain, pour ne pas dire à la fin du néolithique. Depuis une centaine d’années, nous vivons des changements considérables dans tous les domaines. Par exemple le passage d’une société majoritairement rurale à une société surtout urbaine. Un remarquable développement des sciences et des techniques. Une croissance de l’économie dans des proportions inconnues jusqu’ici. Une énorme facilité dans les communications (du téléphone jusqu’à l’Ipad). Une augmentation importante de la durée moyenne de vie. Une parité réelle (même s’il reste encore des progrès à réaliser) entre hommes et femmes, etc.
Cette mutation est à la source de plusieurs crises qui peuvent expliquer la raréfaction des vocations.
- Crise de la foi : Dieu certes ne change pas mais la relation des humains avec Lui est inévitablement affectée par tous les changements que je viens d’indiquer. Depuis des millénaires, beaucoup de gens demandaient à Dieu ce que désormais ils peuvent, en partie, se procurer par eux-mêmes. Ils ne voient plus ce qu’une foi et une pratique religieuse apportent. Sans doute aspirent-ils, dans leurs attentes profondes, à passer d’une relation d’utilité à une relation de gratuité et d’amour avec le Dieu de l’Evangile. Mais ce passage est loin d’être réalisé.
- Crise de la culture : Celle-ci, ayant perdu ses fondements religieux, en cherche d’autres dans tous les sens. En tout cas, elle ne favorise pas le don total et définitif tant dans le mariage que la vie consacrée et le ministère presbytéral. L’exercice de l’autorité est aussi modifié, ne pouvant plus être confondu avec l’autoritarisme et nécessitant une réelle compétence.
- Crise de la transmission éducative : Celle-ci ne se fait plus de manière spontanée et descendante, d’une génération à la suivante. Cette rupture concerne non seulement les modes de vie ordinaire mais les références et les valeurs essentielles. D’autant que les médias, dans leurs diversités, même s’ils ont moins d’influence qu’on le dit, participent à cet éclatement des fondamentaux éducatifs.
- Crise des institutions : Celles-ci ne sont plus respectées à priori, la famille et le mariage, la justice, l’éducation nationale, celles qui sont au service de la sécurité (comme pompiers, police ou gendarmerie) ou du bien commun (comme les représentants de l’Etat et les élus). Les institutions religieuses n’échappent pas à cette remise en cause. Dans ces conditions, devenir à vie homme d’Eglise ne paraît pas épanouissant.
- Crise des filières de recrutement : La mise en place d’un collège par canton, dans les années 60, a entrainé la fermeture rapide des petits séminaires. Ceux-ci accueillaient des jeunes envoyés par leurs curés qui les jugeaient capables de devenir prêtres. Ainsi a été tarie la principale source des entrées au grand séminaire diocésain.
Cette énumération suffit à considérer comme fausses de soi-disant raisons de la crise, alléguées par certains :
- Le concile Vatican II ? La crise est bien antérieure.
- Le célibat ? Sans doute, dans une société hyper-sexualisée, est-il plus difficile qu’auparavant de vivre le célibat dans la chasteté. Mais la vraie raison de celui-ci est mystique et non disciplinaire. Elle reste toujours valable : les représentants visibles du Christ invisible sont appelés à pratiquer son genre de vie.
- L’augmentation du nombre de laïcs assurant des fonctions dans l’Eglise ? S’il y a eu à ce sujet quelques confusions, aujourd’hui beaucoup de laïcs sont persuadés qu’ils ne remplacent pas les prêtres mais reprennent leur place de baptisés dans le fonctionnement et la mission d’une Eglise-communion. Ce ne sont pas des laïcs plus formés et plus responsables qui font diminuer les vocations. Pas plus d’ailleurs que des filles assurant le service de l’autel.
Comment dépasser la crise ?
C’est une tâche difficile. Si nous n’avons pas prise sur la mutation de civilisation, nous pouvons tout de même agir en Eglise pour enrayer certaines causes internes de la crise.
Que toute l’Eglise soit convaincue que les prêtres sont et seront irremplaçables. Il ne peut y avoir d’Eglise, telle que le Christ la veut, sans ministres ordonnés (prêtres et évêques) qui la rattachent, elle qui est le Corps du Seigneur, à la Tête. Contrairement au slogan nocif des années 80 qui a causé beaucoup de tort, nous n’allons pas « vers une Eglise sans prêtres ».
Que toute l’Eglise retrouve confiance, sans être ni culpabilisée ni prétentieuse. Aucune personne, aucune institution ne peut se réaliser sans confiance. La nôtre s’appuie non sur nous-mêmes mais sur la vitalité du Christ Ressuscité et sur son Père, dans l’Esprit d’Amour. C’est le développement chez beaucoup de catholiques d’une authentique vie spirituelle, au sens fort, qui permet d’être et d’agir dans cette confiance reçue de Dieu.
Que toute l’Eglise ait vraiment conscience qu’elle est sacrement de communion pour la société. Un sacrement parait peu de chose. Ce qui compte, c’est qu’il soit bien signifiant de la réalité qu’il doit rendre visible. Et cette communion, tous les baptisés sont chargés de la faire connaître et de contribuer à sa réalisation dans la société où ils se trouvent, pour que l’humanité entière puisse y participer, selon le désir de la Trinité. Les prêtres sont et restent essentiels pour que cette communion soit vécue le mieux possible entre tous les membres de l’Eglise. La collaboration apostolique qui se développe entre ceux-ci, loin de stériliser les vocations sacerdotales, les appelle au contraire.
Concrètement, nous pouvons :
- Prier, car le Saint-Esprit n’a déserté ni l’Eglise ni notre monde. Malgré tous les obstacles actuels, des jeunes sont capables de répondre à son appel avec dynamisme, générosité et joie. Des réseaux de prière pour les vocations peuvent être mis en place ou sont ré-activés.
- Soutenir les jeunes qui s’interrogent sur une possible vocation. Autrefois, on pouvait entrer à l’Ecole Normale ou au Grand Séminaire à 18 ans, juste après le baccalauréat. A l’heure actuelle, il faut beaucoup plus de temps pour choisir sa voie et mûrir une décision ferme. Sans doute, nous faut-il prendre des initiatives variées pour accompagner, de manière personnalisée, les garçons qui se demandent comment discerner un éventuel appel de Dieu.
- Parler, car tout ce qui est humain passe par la parole et ce qui ne se parle pas finit par dépérir. Il est important d’oser parler des vocations et y appeler, dans le respect de la liberté de conscience, bien entendu. Il est important aussi de faire connaitre la vitalité réelle de certains secteurs de l’Eglise. Car la vie appelle la vie.
L’épreuve peut briser, elle peut aussi engendrer un renouveau. La persécution de Jérusalem a obligé la première communauté à se réfugier en territoire non-juif (Actes 8,1-4). Une telle dispersion forcée a permis l’expansion chrétienne. A travers la crise actuelle des vocations, Dieu continue de nous conduire. Telle est notre espérance et « l’espérance ne trompe pas » (Rm 5,5).
+ Bernard Housset
Evêque de La Rochelle et Saintes
(*) Depuis 1910, chaque deuxième quinzaine d’août, a lieu un pèlerinage en souvenir des prêtres disparus à la suite des mesures antireligieuses décidées par la Convention nationale