Entrer dans la joie (2)

Introduction

* Vivre la mission dans une période de crise

* Dans la dynamique de la « Lettre aux catholiques de France »
* Pour le peuple de la Bible, les temps de crise : des temps d’épreuve de la foi, temps où germe l’espérance.
* La foi chrétienne : partage de la condition humaine, obéissance au réel et attente du Royaume

* A l’écoute de notre Tradition : « Pour que ma joie soit en vous. » (Jn 15,11)

* « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » (Jn 1, 14)
* Joie et mission, chez Luc et Jean,
* La condition pascale de l’envoyé (Paul),
* La condition paradoxale du chrétien (Béatitudes)
* Signes du Royaume

* La joie et la croix au cœur de la mission : éléments d’une spiritualité missionnaire

* Une bonne nouvelle à partager à d’autres, à tous
* La condition pascale des disciples
* Une joie partagée et célébrée avec des frères
* A quelles conditions vivre la mission sous le signe de la joie ?
* A l’écoute de l’Esprit

Eléments de bibliographie

 « Proposer la foi, Lettre aux catholiques de France », Paris, Cerf, 1996

 Madeleine Delbrêl, La joie de croire, Paris, Le Seuil, 1968

 Timothy Radcliffe, « Que votre joie soit parfaite », Paris, Le Cerf, 2002

Introduction

Qui parle ?

Né dans l’Ouest de la France, à Nantes, j’ai vécu dans plusieurs villes au rythme des nominations de mon père comme chef de gare. De la 6° aux classes Prépas, j’ai fréquenté les aumôneries de lycée à Chartres, Cherbourg et Paris. Après des études d’histoire-géographie, deux années d’enseignement, engagé à la JEC et commençant la formation vers le ministère presbytéral dans les GFU, je suis entré au séminaire de la Mission de France, étudiant la théologie à la Catho de Paris et au Centre Sèvres.

Prêtre de la Mission de France, ordonné en juin1980, j’ai été envoyé en mission par deux fois en Égypte. Après deux ans passés à apprendre l’arabe à Rome et quatre ans à Suez, en Egypte, j’ai été rappelé pour être responsable du séminaire de la Mission de France. A l’issue de sept ans à la formation et dans l’équipe épiscopale, je suis reparti cinq ans à Suez. Nouvel évêque de la Mission de France, le père Gilson, m’a alors fait revenir pour être responsable d’un nouveau projet : « une École pour la Mission », lieu de réflexion théologique et de propositions de parcours de formation destinés à une nouvelle génération de laïcs, prêtres et diacres.

L’axe du parcours fondamental, sur deux ans, est le suivant : Que se passe-t-il quand l’Eglise vit une période de mutation ? Comment fait-elle pour vivre l’Évangile dans une nouvelle situation et dans la rencontre d’autres qui ne sont pas chrétiens ?

J’habite dans ce département du Val de Marne et je viens de collaborer durant 7 ans avec le diocèse de Créteil comme prêtre accompagnateur de l’aumônerie des étudiants de l’Université de Paris XII – Créteil.

Depuis le 1° septembre 2006, j’ai été nommé par les évêques directeur du Service des Relations avec l’Islam, SRI : une nouvelle mission que je vivrai à plein temps, l’année prochaine.

Quelques réflexions introductives

La condition chrétienne est souvent paradoxale : je suis invité à parler de la joie au cœur de la mission alors que la tristesse et la peine sont fortement présentes dans notre famille, à la suite de l’enterrement de Papa, la semaine dernière.

La joie est de l’ordre d’une promesse de Jésus à ses disciples, d’un don à accueillir ; elle n’est pas le fruit de notre décision.

Comme indiqué par le sous-titre, cet exposé lie théologie et éléments de spiritualité car l’un ne va pas sans l’autre. Je procèderai en trois temps : d’abord prendre acte que nous sommes amenés à vivre la mission dans un contexte de crise (je m’expliquerai sur l’usage de ce mot). Puis, prendre le temps de nous mettre à l’écoute de la Tradition chrétienne sur ce registre de la joie, particulièrement chez Jean l’évangéliste et Paul. Enfin, poser quelques éléments d’une spiritualité missionnaire où la joie ne va pas sans la croix.

1. Vivre la mission dans une période de crise

François Soulage vient de vous présenter des éléments d’analyse sur la crise que nous vivons ou traversons aujourd’hui. Je m’inscris dans la suite de son propos en soulignant d’emblée que le mot français crise vient du grec « crisis » qui signifie d’abord jugement, décision, puis choix, puis débat et seulement en dernière position : crise au sens entendu habituellement : une situation dramatique.

C’est un terme familier dans la réflexion des théologiens protestants du XX° siècle que ce soit Karl Barth ou Dietrich Bonhoeffer. La crise est donc un moment de rupture d’équilibres, souvent d’interrogations, c’est une situation qui appelle un jugement, un discernement, des choix. Dietrich Bonhoeffer, pasteur et théologien, est une belle figure chrétienne de cette attitude chrétienne dans la crise provoquée par le nazisme. Il a payé de sa vie le choix qu’il a fait d’entrer en résistance au nom du jugement de foi qu’il avait porté sur cette situation de crise. (cf. la force évangélique et théologique de son journal de prison : « Résistance et Soumission », qui vient d’être réédité par Labor et Fides).

Dans la dynamique de la « Lettre aux catholiques de France »

Responsables dans les AEP, vous avez dû déjà dans des formations lire des pages de ce texte élaboré à la suite de trois années d’échanges par un comité dirigé par le P. Claude Dagens, évêque d’Angoulême, adopté en 1996 par les évêques de France et adressé à tous les catholiques sous la forme d’une lettre qui a pour titre « Proposer la foi ». Dans la réflexion pastorale de l’Eglise de France, ce texte marque une rupture avec un avant et un après ce texte. Vous en connaissez la dynamique. Je voudrais en souligner le point de départ : ce constat que nous vivons un temps de crise. Car en passant du XX° au XXI° siècle, nous n’avons pas seulement changé de siècle mais d’époque. Les évêques le disent ainsi :

« La crise que traverse l’Eglise aujourd’hui est due, dans une large mesure, à la répercussion, dans l’Eglise elle-même et dans la vie de ses membres, d’un ensemble de mutations sociales et culturelles rapides, profondes et qui ont une dimension mondiale.

Nous sommes en train de changer de monde et de société. Un monde s’efface et un autre est en train d’émerger, sans qu’existe aucun modèle préétabli pour sa construction. Des équilibres anciens sont en train de disparaître et les équilibres nouveaux ont du mal à se constituer. (…) la figure du monde qu’il s’agit de construire nous échappe. »

Sans pouvoir ici approfondir l’analyse, disons, en reprenant ce que développe Jean-Marie Ploux , que nous sommes passés du monde de la Tradition où Dieu est au centre de la société et où il est la clef de voûte de tout, à celui de la Modernité où, en Occident à partir du XVI°, l’homme est au centre et émerge comme sujet autonome. Puis, aujourd’hui, nous passons à une nouvelle étape : celle de l’entrée dans un monde de la complexité, monde multipolaire où nous nous demandons ce qui est au centre : est-ce la marchandise ? En tout cas, il semble bien qu’en France, ce ne soit plus ni Dieu ni l’homme qui soient au centre.

A cette situation de crise, l’Eglise et les chrétiens y sont exposés au même titre que les autres : « Même si nous avons, en tant que chrétiens, à répondre d’une Parole de vérité et de vie, nous n’en partageons pas moins la condition commune des hommes et des femmes de notre société. Voilà pourquoi la mission et la responsabilité qui nous sont confiées dans ce monde ne nous confèrent aucune prétention, et d’ailleurs aucun moyen, de le regarder de haut et comme de le surplomber.

Nous voilà donc appelés à vérifier la nouveauté du don de Dieu, de l’intérieur même de notre foi vécue dans cette société incertaine qui est la nôtre. »

Pour le peuple de la Bible, les temps de crise sont des temps d’épreuve de la foi, des temps où germe l’espérance

Ce temps de crise c’est-à-dire de passage d’une époque à une autre, est une invitation à aller au cœur du mystère de la foi, à faire comme le scribe de l’Evangile : aller puiser dans la Tradition pour y trouver à nouveau les fondements de notre foi et de notre espérance chrétienne. Il est alors étonnant de constater qu’à différentes époques dans l’histoire du Peuple de Dieu les temps de crise où se jouent la vie et la mort, ont été des creusets d’espérance.

Ainsi, l’Exil à Babylone, après la chute de Samarie en 722 puis celle de Jérusalem en 587, Ezéchiel proclame : « Nos ossements sont desséchés, notre espérance a disparu (est détruite), nous sommes en pièces.» (Ez 37,11) C’est un temps d’épreuve pour la foi d’Israël, mais au cœur même de cette nuit, l’espérance demeure affirmée [confessée ?] : «J’attends le Seigneur qui cache sa face à la maison de Jacob, j’espère en lui. » (Es 8, 17) Au cœur de cette épreuve de l’Exil, alors que toutes les structures de la foi et de la relation à Dieu dans le cadre de l’Alliance ont disparu : plus de terre, ni de temple ni de roi, l’espérance d’Israël semble se déplacer et se concentrer sur Dieu lui-même : « Espoir d’Israël, Seigneur, tous ceux qui t’abandonnent sont couverts de honte… car ils abandonnent la source d’eau vive : le Seigneur. » ( Es 17, 13), « Espoir d’Israël, toi qui sauves au temps de l’angoisse… » ( Jr 14,8). Dieu lui-même est donc au cœur de l’espérance d’Israël.

Nous trouvons aussi dans le livre des Maccabées, au II° siècle avant notre ère, l’écho de cette confiance et d’une espérance personnelle liée à la résurrection des morts alors même que la persécution fait rage. Prenant la parole face à leurs persécuteurs, ces hommes lient leur espérance à leur foi en la résurrection promise aux Justes :

« Tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle. (…) Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu d’être ressuscité par lui, car pour toi il n’y aura pas de résurrection à la vie. »
(2 M 9, 14)

De l’héritage biblique du peuple d’Israël, nous recevons donc l’espérance qui découle de la confiance en Dieu, Lui qui n’abandonne jamais les siens, même le juste persécuté ou martyrisé, une espérance portée par un peuple mais qui s’inscrit aussi dans l’acte personnel de foi de celui qui se tourne vers Dieu. Même lorsque la justice et la paix ne règnent pas autour de lui, le croyant puise dans la confiance en Dieu la certitude que cette situation n’est pas définitivement sans issue.

La condition chrétienne : partage de la condition humaine, obéissance au réel et attente du Royaume

Nous ne rêvons pas d’un autre monde même si nous désirons que notre monde devienne autre. Chrétiens nous partageons la même condition que les autres être humains, même si nous essayons de la vivre dans la foi, c’est-à-dire dans cette confiance que Dieu qui s’est rendu proche des hommes en Jésus de Nazareth, continue aujourd’hui cette même proximité avec nous.

C’est la condition chrétienne, décrite aussi bien par l’auteur de l’Epître à Diognète à la fin du II° siècle après JC que par le concile Vatican II, il y a 40 ans :

« Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. (…)ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.(…) Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. »

Le texte du Concile Vatican II sur «l’Eglise dans le monde de ce temps » [la Constitution Gaudium et Spes ] commence par présenter ainsi la condition chrétienne dès ses premiers mots : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur.(…) La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire ».

Enfin, dans le texte de Timothy Radcliffe que vous avez reçu, celui-ci souligne qu’une caractéristique de notre monde est qu’il semble échapper à notre contrôle, que nous ne savons pas où nous allons et que de ce point de vue les chrétiens partagent la condition et les inquiétudes de tous avec cependant une particularité qu’il présente ainsi : « Nous vivons dans un monde en fuite. Cette situation provoque une angoisse profonde. Nous, chrétiens, nous n’avons pas de connaissance particulière de l’avenir… Nous aussi nous sommes hantés par l’angoisse de nos contemporains. Dans ce monde en fuite, les chrétiens ont à offrir non pas un savoir mais une sagesse, la sagesse de la destinée ultime de l’humanité : le Royaume de Dieu. Nous ne savons peut-être pas comment le Royaume adviendra, mais nous croyons en son triomphe ».

Dans la condition, la foi et la spiritualité chrétiennes, se trouve aussi ce que Louis Augros appelait « l’obéissance au réel », c’est-à-dire que les événements s’imposent à nous personnellement et en Eglise. Mais ce n’est pas pour nous du fatalisme, « mektoub », c’est la conviction que dans ce qui survient aujourd’hui il y a l’action que Dieu poursuit par sa Parole et son Esprit, que notre histoire est le lieu de la révélation de Dieu, qu’elle est le lieu de notre conversion. Encore faut-il que nous sachions discerner, lire les signes de Dieu pour que nous puissions dire à la suite de Marie-Dominique Chenu et d’autres que
« l’événement est notre maître intérieur » !

2. A l’écoute de notre Tradition : « Pour que ma joie soit en vous. » (Jn 15,11)

Dans cette deuxième étape de notre réflexion, je voudrais aller à la recherche de ce que la tradition évangélique et paulinienne nous livre sur ce thème de la joie dans la mission. Il s’agit d’abord de nous arrêter sur le cœur de notre foi : l’événement Jésus-Christ dans sa singularité et dans la relation originelle entre Jésus et ses disciples. Je suis frappé de ce qu’exprime l’évangéliste Jean à plusieurs reprises : ce désir de Jésus que les disciples reçoivent sa joie et en vivent.

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » (Jn 1, 14)

Si nous pouvons dire que l’événement est notre maître intérieur, c’est parce que le cœur de la foi chrétienne est un événement dans notre histoire : la révélation de Dieu en Jésus-Christ, dans sa vie, sa mort et sa résurrection.

Chrétiens, nous ne sommes pas d’abord des croyants en Dieu mais des disciples de Jésus-Christ en qui Dieu se révèle. En cette parole / événement, s’exprime ce qui est scandale pour les juifs et folie pour les païens (1 Co, 1, 23) : un messie crucifié, Dieu se révélant en prenant chair, corps d’homme en notre histoire.

La foi des disciples, ceux qu’il avait choisis et appelés, est indissociable de cet événement. Nous n’avons accès à Jésus-Christ que par eux, témoins de la Parole et porteurs de cette Parole : « Ce que nous entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de Vie, … nous vous l’annonçons. » (1 Jn 1, 1-3a)

Cette Parole de Dieu faite chair en Jésus est à la fois parole prophétique, dans la suite des Prophètes de la Bible invitant à la Justice et à la libération comme l’exprime bien le début du ministère de Jésus à la synagogue de Nazareth en Luc 4, et parole de sagesse comme le proclament les Béatitudes invitant à un chemin de vie et de bonheur.

Joie et mission, chez Luc et Jean

Xavier Léon-Dufour dans son dictionnaire du Nouveau Testament fait remarquer que trois termes différents expriment la joie. Le premier, en grec « euphrainô, euphrosinè », qui exprime le sentiment d’être heureux à sa place et avec les autres est dominant dans l’Ancien Testament et peu fréquent dans le Nouveau. On le trouve chez Luc pour désigner la joie collective et les festins.

Alors que le Nouveau Testament préfère le grec « khara, khairô, » (de même consonance que kharis, la grâce), terme qui désigne la salutation entre deux êtres. Dans le Nouveau Testament, la joie « vient surtout de l’accomplissement de l’attente vétérotestamentaire : la présence du salut dans la personne de Jésus. »

Chez Luc, on se réjouit de la naissance de Jean-Baptiste, de celle de Jésus, et au chapitre 15 des paraboles de la Miséricorde ce qui était perdu est retrouvé : la brebis, la drachme, le fils. Dans ces paraboles, c’est l’invitation à se réjouir avec « moi », une joie partagée. Une autre situation nous intéresse particulièrement, en Luc 10,17-20 : au retour de mission des 72 que Jésus a envoyés en mission, en réponse à la joie dont ils témoignent, il leur dit « Réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » Invitation directe faite par Jésus aux disciples.

Dernière mention chez Luc, à la fin du récit d’Emmaüs, la rencontre du Ressuscité suscite la joie chez le groupe des apôtres et disciples au point de perturber leur foi : «sous l’effet de la joie, ils restaient incrédules » [Lc 24,41] . Et plus étonnant est la mention de la joie après l’envoi en mission par Jésus pour être « les témoins » : « ils retournèrent à Jérusalem pleins de joie.» [Lc 24, 52]

Chez Jean, nous retrouvons cette même joie partagée entre Jésus et ses disciples, la joie promise comme un don et en plénitude. Dans ce qu’on appelle le dernier entretien de Jésus avec ses disciples, chapitres 15 à 17, la mention de la joie revient 8 fois. C’est à la joie que les disciples sont appelés et promis, « votre joie, nul ne pourra vous la ravir » (Jn 16,22). Insistance remarquable chez l’évangéliste qui ne cache pas les oppositions auxquelles Jésus et les siens doivent faire face de la part du « monde ». « Vous allez pleurer et vous lamenter ; le monde lui se réjouira… mais votre tristesse se changera en joie. (…) votre cœur se réjouira et votre joie nul ne vous la ravira. » (Jn 16, 21-22)

La joie est promise aux disciples comme leur est promis l’Esprit.

La condition pascale de l’envoyé (Paul)

Chez Paul, nous trouvons aussi la mention de la joie et le verbe se réjouir, dans deux types de situations bien différentes. D’abord, comme le mentionnait Xavier Léon-Dufour, la joie fait partie des salutations très fraternelles et très précises que Paul adresse au début ou à la fin de ses épîtres : elle fait donc partie de ce qu’il a envie d’échanger avec ses frères et sœurs, révélant ainsi des relations fraternelles du même type de celles dont témoigne Jean à propos de Jésus et de ses disciples.

Ensuite, la joie est un thème fortement présent dans deux épîtres : la 2° aux Corinthiens et l’épître aux Philippiens. Dans les deux cas, cette joie est mise en rapport avec d’autres sentiments ou attitudes contraires : avec la tristesse et avec la souffrance. Paul au cœur de sa mission rencontre des difficultés avec la communauté de Corinthe et il exprime sa joie quand la réconciliation peut se faire grâce à l’œuvre de Tite. L’apôtre connaît la tristesse ou la déception quand l’œuvre commencée ne continue plus dans le sens de l’evangile qu’il prêche mais il est capable de joie quand se renouent les relations au sein de la communauté de Corinthe : « Grande est ma confiance en vous… je déborde de joie dans toutes nos détresses. » ( 2 Co 7,4) Dans l’Epître aux Philippiens où le thème de la joie est fort présent, Paul insiste pour dire que ce sont eux qui sont la cause de sa joie.

On le voit, rapidement, la joie chez Paul n’est jamais irénisme, ni béatitude, elle est un fruit de la mission, fragile, susceptible de disparaître ; elle suscite l’action de grâces de Paul devant les conversions des frères auxquels il s’adresse. Elle est plus que jamais de l’ordre d’un don à accueillir, à demander, pour lequel rendre grâces quand il est donné.

La condition paradoxale du chrétien : les Béatitudes

Dans les récits évangéliques, il y a souvent un paradoxe entre la situation présente que vivent les interlocuteurs de Jésus et l’appel qu’Il leur adresse, paradoxe qui est tout à fait celui que nous vivons à notre tour aujourd’hui.

«Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’Evangile. » (Mc 1,15) Cette ouverture de l’avenir, de notre avenir, dans l’événement de la Résurrection du Christ ne doit pas nous faire oublier que Jésus, dans sa prédication du Royaume, annonce que les temps sont accomplis dès maintenant. L’eschatologie chrétienne n’est pas le discours sur la fin de l’histoire mais la parole qui, dans la fidélité à la prédication et aux gestes de Jésus, pensons aux guérisons, dit qu’aujourd’hui le Règne de Dieu advient.

C’est au présent que Jésus répond aux envoyés de Jean le Baptiste : « Allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit (…) la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22) C’est aussi au présent que Jésus annonce à la Samaritaine la révélation de Dieu : « L’heure vient – et maintenant elle est là- où les vrais adorateurs, adoreront le Père en esprit et vérité ».
(Jn 4, 23)

Dans le discours sur la montagne, discours qui annonce la réalisation des promesses proclamées par les Prophètes, présent et futur se mêlent, indiquant bien que l’ultime se joue dès maintenant, que le présent inscrit déjà l’avenir. C’est au présent que Jésus proclame certaines Béatitudes : « Heureux vous les pauvres, le royaume des cieux est à vous. » (Lc 6, 21) ; « Heureux les persécutés pour la justice : le royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 10).

Signes du Royaume

Dans l’article cité, T Radcliffe invite les communautés chrétiennes à être, selon la théologie de l’Eglise développée par le concile Vatican II, des signes et des sacrements du Royaume pour ceux et celles avec qui ils vivent et ceci à cause de l’événement qui fonde notre foi, celui de la résurrection du Christ. « Nous [les chrétiens] devons offrir des signes de la Résurrection qui transparaissent dans des gestes de transformation et de libération. Nos célébrations ne sont pas une échappatoire mais un avant goût de l’avenir. Elles ne nous offrent pas de l’opium, comme Marx le croyait, mais une promesse. (…) Le défi de la mission est de rendre Dieu visible par des gestes de liberté, de libération, de transformation, par de petits happenings qui sont signes de la fin. Nous avons besoin de ces petites irruptions de la liberté incontrôlable de Dieu et de sa victoire sur la mort. »

cf. les exemples qu’il donne du jeune étudiant chinois seul face aux chars, place Tien’An-men ou de la chute du Mur de Berlin ou encore des exemples de communautés, à Belfast ou au Burundi, invitations à ce que les communautés dont nous portons la responsabilité soient ces signes du Royaume, promesse actuelle de Dieu .

3. La joie et la croix au cœur de la mission : éléments d’une spiritualité missionnaire

Nous avons parlé de joie, nous avons évoqué les Béatitudes : pour ses disciples, Jésus désire la joie, chez ceux qu’il rencontre, accueille, guérit, il provoque la joie, cf. Zachée. Rappelons-nous cette donnée de base : l’evangile dont nous sommes porteurs, avec lequel nous désirons que des jeunes entrent en contact, est une bonne nouvelle.

C’est aux foules que Jésus s’adresse et parmi elles certain(e)s s’attachent à lui et le suivent. Cette dimension d’ouverture et d’universalité est constitutive de l’annonce de l’Evangile.

Commencer par les destinataires de l’Evangile

Dans le document de synthèse du travail des évêques à Lourdes en 2000 sur le thème « Des temps nouveaux pour l’Evangile », l’équipe de pilotage à laquelle je participais avait insisté sur ce point : quand nous réfléchissons à la mission, n’oublions pas de mettre en premier ceux qui sont les destinataires de l’évangile, ceux auxquels nous sommes envoyés. Le risque, aujourd’hui, est de réfléchir beaucoup à nous-mêmes, les envoyés, au message à transmettre alors que les destinataires de l’Evangile sont « ceux qui sont différents de nous » comme l’écrit T. Radcliffe, p.21.

Qu’en est-il dans les aumôneries de lycées ? à vous de le dire. Pour ce qui concerne les aumôneries d’étudiants, c’est un débat que nous avons, en Ile de France. A Créteil, l’évêque, le P. Daniel Labille disait aux étudiants, lors d’une journée de rentrée : « Je ne vous demande pas d’être l’aumônerie des étudiants catholiques, je vous demande d’être l’aumônerie catholique des étudiants ». Propos intéressants dans la bouche de celui qui nous envoie en mission, l’évêque : aumônerie catholique certes (mais de toute façon à Créteil, située dos à l’évêché et à la Cathédrale, elle est bien repérée !) mais aumônerie catholique des étudiants, c’est-à-dire que tout garçon, toute fille étudiant(e)s puisse venir y frapper et y être accueilli.

Il y a là, pour moi, un enjeu important. Est-ce que nous, Eglise catholique, nous sommes le « club des cathos », ceux qui sont tombés dedans quand ils étaient petits (comme Astérix) ? Où est-ce que nous croyons, et pour moi c’est une question de foi, que l’Evangile est une bonne nouvelle qui peut concerner des jeunes qui ne sont pas d’origine chrétienne mais qui peuvent y trouver une parole de vie ? C’est vrai que, suivant la réponse que vous apportez, les pédagogies et les manières d’accueillir et de célébrer sont différentes.

Mais, y compris dans mes nouvelles responsabilités aujourd’hui, cela me ferait peur que notre société française se définisse en termes de communautés : la communauté juive, la communauté catholique, la communauté musulmane, la communauté de ceux qui ne sont pas chrétiens. Certes, nous devons bien être présents avec ce que nous sommes, ce que nous portons comme identités ou particularités mais il est capital d’affirmer en, paroles et en actes que les destinataires de la mission (en sachant que cela n’est pas facile) ce sont tous les hommes et femmes de notre temps.

Une tension à vivre : une bonne nouvelle à partager à d’autres et le service d’une communauté à construire.

Comment aujourd’hui vivre cette tension d’une bonne nouvelle pour tous et d’une communauté chrétienne fraternelle, chaleureuse ? Comment servir la constitution d’une communauté sans tomber dans « le club des cathos » ?

C’est de votre responsabilité de construire une communauté chrétienne, fraternelle, chaleureuse où des jeunes puissent faire l’expérience de la joie. Je m’interroge : pourquoi des jeunes, y compris d’origine portugaise ou antillaise, se convertissent à l’islam ? Pourquoi, selon les mots de nos frères réformés eux-mêmes, « des hommes, des femmes d’origine, de culture africaine, antillaise s’ennuient aux offices de l’Eglise Réformée et vont créer des communautés évangéliques » ? Pour des jeunes, pour des gens qui cherchent la dimension de fraternité et la qualité de celle-ci sont un test de la vérité évangélique de ce que nous entendons vivre et proposer.

La proposition d’une parole et d’un chemin de vie : Ce que le Christ propose à ses interlocuteurs, n’est pas d’abord une loi nouvelle, mais un chemin de vie. Comment notre proposition chrétienne est aussi proposition de chemin de vie ? Comment tenons-nous ces deux dimensions de la parole de Dieu portées dans la Bible et dans la personne de Jésus-Christ : la dimension prophétique de la justice, la dignité de tout homme et la dimension de sagesse. A côté d’autres propositions qui ne manquent pas dans notre société pour se construire et s’épanouir, proposons-nous la foi chrétienne comme un chemin de vie et de bonheur

La condition pascale des disciples

Pour guider la réflexion, je voudrais évoquer quelques textes de l’apôtre Paul et un texte de Madeleine Delbrêl (qui vivait à quelques kilomètres d’ici)

Comme l’Evangile le dit à plusieurs reprises, le disciple n’est pas au-dessus de son maître. Faut-il parler de tension à vivre entre la joie et la croix ? Cela me paraît un peu trop fort mais nous sommes, à notre mesure, dans la condition de Paul connaissant des joies mais aussi des échecs dans notre mission, connaissant des tribulations. Lisons la liste faite par Paul au chapitre 11 de la 2° Lettre aux Corinthiens (2 Co 11, 10-32), liste de toutes les épreuves qu’il a endurées et du nombre de naufrages qu’il a fait mais aussi des joies qu’il a éprouvées. Paul était capable de vivre ces deux dimensions. C’est aussi un défi que nous avons à vivre aujourd’hui.

Je préfère parler de la condition pascale du disciple qui met ses pas dans ceux du Christ, appelé alors à connaître des passages de l’enthousiasme au rejet, du découragement à la rencontre qui illumine comme les disciples sur la route d’Emmaüs, de l’attirance des foules à la solitude.

Dans la condition pascale des disciples que nous sommes appelés à vivre, il y a ce dessaisissement qu’évoque l’hymne aux Philippiens [Ph 2, 6-11] à propos du Christ : « Jésus-Christ, lui qui est de condition divine n’a pas revendiqué le rang qui l’égalait à Dieu mais il s’est dessaisi de tout … devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur la croix et Dieu l’a exalté… ». Nous ne sommes pas le Christ, mais, comme disciples, nous sommes appelés à vivre la condition pascale.

Madeleine Delbrêl , dans « La joie de croire », écrit : « Toute appartenance à Dieu sera traversée par une lame à double tranchant, la joie et la croix. Escamotez les contradictions que cela pose dans notre vie et les difficultés concrètes qui en découlent, c’est être bien optimiste sur ce que nous pouvons attendre de nous, de notre aptitude à déformer, à diviser et les autres et nous-mêmes. (…) Il ne sera facile de choisir ou l’une – la joie, ou la croix – ou l’autre – dans ce qui relève de notre choix, tantôt au nom de la joie, nous ne prendrons de nous-même aucune peine aussi légère soit-elle, tantôt au nom de la croix, nous encadrons les difficultés, les peines dans notre humaine vie à l’originalité d’être munie et nous mettons la joie en vacances au profit de la tristesse, des regrets et de l’amertume. Ou bien si nous comprenons l’inséparabilité de la croix et de la joie, nous devenons facilement les faux-monnayeurs de la joie et de la croix, et encore plus facilement si nous avons un public.» M. Delbrêl montre que nous pouvons être tentés de ne privilégier que l’une ou l’autre de ces deux dimensions alors que toutes deux sont sur notre chemin.

Rappelons-nous aussi ce passage de la 2° Lettre aux Corinthiens où Paul évoque la fragilité de l’apôtre mais aussi en conséquence la condition de tout missionnaire : « Ce trésor nous le portons dans des vases d’argile pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous.» (2 Co, 4,7) Nous sommes porteurs d’un trésor mais nous le portons dans notre fragilité et notre fragilité n’est pas un obstacle mais révèle que la lumière dont nous sommes porteurs vient de Dieu.

Une joie partagée avec des frères

Chez saint Jean comme chez saint Paul, la joie que nous pouvons vivre dans la mission a une double dimension ecclésiale. Double dimension, parce qu’elle se partage à la fois avec ceux et celles qui sont les destinataires de la mission et avec ceux que j’appelerai « les co-envoyés », ceux et celles qui sont envoyés avec nous en mission.

Il est frappant de constater que dans l’Evangile de Jean la joie promise par Jésus est une joie promise aux apôtres comme groupe, ce n’est pas une promesse individuelle pour chaque disciple. Il est frappant de constater aussi que c’est sa joie que Jésus a le désir de communiquer, qu’il désire de cette manière les faire participer à ce qui relève de son intimité, dans la dynamique même de cette autre parole : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis. » (Jn 15,15)

Si nous nous situons dans la ligne de Paul, lisant les débuts et les finales de ses Lettres, la question surgit : comment nous réjouissons-nous de ce que vivent ceux et celles auxquelles nous sommes envoyés ? Et ceux et celles avec qui nous sommes envoyés ?

La joie est partagée avec ceux avec qui nous sommes envoyés, d’autres responsables d’aumônerie mais cette joie, elle peut venir aussi de ceux auxquels nous sommes envoyés. Car dans la rencontre avec eux, nous pouvons faire l’expérience d’une rencontre avec Dieu. Ce que dit bien T. Radcliffe : « Nous tendons vers Dieu en allant vers le prochain. Dieu qui est le tout autre pour découvrir Dieu au centre de notre être, ce Dieu qui est au plus intime de nous-même.» Il dit très bien comment en allant vers l’autre, nous pouvons faire l’expérience de Dieu qui est tout autre et nous sommes reconduits à l’intérieur de nous-même.

Que découvrons-nous du mystère de Dieu dans la rencontre des autres, « les destinataires de la mission » ?

Conditions pour vivre la mission sous le signe de la joie

– Un équilibre entre la confiance et l’humilité

C’est encore à Timothy Radcliffe que j’emprunte ce premier trait : « Au cœur de toute spiritualité de la mission se trouve certainement une compréhension du rapport juste entre la confiance que nous avons en la Révélation de la vérité et notre humilité devant le mystère. Le missionnaire doit chercher le juste équilibre entre la confiance et l’humilité. » Cette invitation à l’humilité nous a été adressée récemment, suite à la controverse suscitée par le discours du pape Benoît XVI à Ratisbonne, par Régis Debray, un homme qui respecte beaucoup les chrétiens même s’il ne partage pas leur foi. Il nous invite à l’humilité devant la question de la vérité et de la Parole dont nous sommes porteurs. Cela ne veut pas dire qu’il faille nous taire mais cela nous rappelle la propre attitude du Christ.

– Le temps de la relecture

Pour vivre la mission sous le signe de la joie et plus précisément pour découvrir la joie dans la mission le temps de la relecture est nécessaire. Avec qui la pratiquons-nous ?

A la lumière de la relecture de ce que nous vivons, comment pratiquons-nous le sacrement de la réconciliation ? C’est un lieu où nous pouvons faire l’expérience de la joie après avoir vécu celle du péché : une joie qui, plus que jamais, ne vient pas de nous mais du pardon de Dieu qui nous ouvre un chemin de vie.

– Savoir rendre grâces

A la manière de Paul qui, dans ses lettres, ne cesse de rendre grâces pour la foi ou certaines attitudes des chrétiens aux quels il écrit. Comment savons-nous rendre grâce pour ce qui nous est donné de vivre et de découvrir ? Nous courons, en effet, le risque, entre animateurs, de ne parler que de ce qui ne va pas, des difficultés et de ne pas savoir nous arrêter pour regarder ce qui marche et d’en rendre grâces à Dieu.

– Dimensions paradoxales de la prière, prier avec les psaumes

La prière chrétienne peut être aussi une prière paradoxale, comportant des dimensions ou des attitudes bien différentes, à la manière de ce que nous livrent les Psaumes, prière du peuple juif, prière de Jésus, prière de l’Eglise. J’aime bien prier avec les Psaumes pour cette raison .Dans les psaumes – y compris dans le même psaume – vous trouvez mêlées la tristesse et la joie. Par exemple, dans le psaume 41/42, le verset 4 dit : «Je n’ai d’autre pain que mes larmes, le jour, la nuit, Moi qui, chaque jour, entends dire : « Où est-il ton Dieu ? » » et la récitation continue au verset 6 par « Espère en Dieu. De nouveau, je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu. »

– La contemplation du Christ

La contemplation du Christ et la dimension de l’eucharistie sont liées bien sûr à l’action de grâces. L’eucharistie comme le lieu où je retrouve le centre de mon existence qui est le Christ. A Suez, dans l’oratoire des petites sœurs de l’assomption où je célébrais avec elles l’eucharistie, souvent le soir après le travail, les premières sœurs avaient fait une niche comme dans les mosquées. Dans les mosquées, cette niche indique la direction de la prière, celle de La Mecque. A l’oratoire, elles avaient disposé là le Saint-Sacrement dans un beau coffret oriental ; symboliquement cela disait beaucoup : pour nous chrétiens, notre direction, notre « orient – ation » n’est pas une orientation géographique mais une personne : le Christ. Comment dans la manière dont nous vivons l’eucharistie ou dont nous la contemplons aidons-nous les jeunes à faire en sorte que le Christ soit au centre de leur vie, soit l’orientation de leur vie ?

A l’écoute de l’Esprit

Concluons avec une réflexion sur l’Esprit, car toute théologie de la mission se doit d’être trinitaire. La lecture du chapitre 8 de l’Epître aux Romains me semble d’une étonnante actualité pour nous. Paul y lie plusieurs éléments : l’attente d’un monde en gestation (le nôtre aujourd’hui), l’attente des croyants, le salut qui est en espérance, c’est à dire déjà là, réalisé en Christ mais pas encore pleinement réalisé et l’Esprit qui permet d’être en état d’espérer et de vivre la patience et la persévérance nécessaires :

« Nous le savons, en effet toute la création gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule, nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés mais c’est en espérance. Or, voir ce que l’on espère ce n’est plus espérer : ce que l’on voit comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance. De même l’Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut.» (Rm 8, 22 – 26)

Si nous faisons le choix de l’espérance, cela tient aussi aux prémices de l’Esprit que nous avons reçus, à notre capacité de laisser l’Esprit nous aider à découvrir les signes de la présence de Dieu à notre monde. Savoir, en Eglise, accueillir l’espérance comme un don de Dieu qui nous est donné avec la foi, qui nous tourne vers l’avenir et qui nous permet de nous tourner vers les autres, quelles que soient leurs situations.

Il nous faut mettre en relation la confiance et l’espérance. Ce témoignage d’espérance qui est attendu de nous dans la société d’aujourd’hui, nous ne pouvons le donner que sur la base d’une confiance qui repose sur la confiance que Dieu lui-même fait à l’homme d’aujourd’hui.

Quel regard porter sur notre monde ? Un regard traversé par l’espérance. Sans oublier notre esprit critique ni les analyses à faire, avoir confiance en cette humanité parce que Dieu ne s’est pas uniquement engagé en paroles mais qu’Il s’est engagé en personne dans notre histoire, en Jésus de Nazareth qu’il n’a pas laissé au pouvoir de la mort mais qu’Il a ressuscité.

Concluons avec une formule de Michel de Certeau qui, à propos de la mission, disait : «Pas sans Lui, pas sans nous, pas sans les autres ». Pas sans Lui : le Christ, pas sans nous : le groupe des disciples, des chrétiens qui témoignent aujourd’hui, mais aussi pas sans les autres : ceux avec lesquels nous vivons et auxquels l’Evangile est destiné comme une Bonne Nouvelle.

Père Christophe ROUCOU

Communauté Mission de France

Les GFU sont un premier cycle de séminaire reconnu par la Conférence des évêques de France et approuvé par la congrégation des séminaires de Rome.

1 La Communauté Mission de France :

A l’origine, un homme : le cardinal Emmanuel Suhard, animé du souci de la mission et de l’inquiétude spirituelle qui l’habite vis à vis de ces millions de parisiens qui ne fréquentent pas les églises et dont il se sent responsable devant Dieu comme archevêque de Paris. En juillet 1941, il propose aux autres cardinaux et archevêques de France la création de la Mission de France. Son constat : « Il y a un mur qui sépare les masses du Christ, il faut abattre ce mur pour rendre au Christ les masses qui l’ont perdu. » Son intuition est la suivante : envoyer des prêtres diocésains qui aillent à la rencontre des hommes et femmes sur les lieux où ils vivent ; pour ce faire, il faut un séminaire qui forme des prêtres spécialement pour cette nouvelle mission. En octobre 1942, ce séminaire est ouvert à Lisieux, sous le patronage de Thérèse de Lisieux. En août 1954, quelques mois seulement après l’interdiction par Rome du travail ouvrier à plein temps pour les prêtres, un statut original est donné à la Mission de France, celui de prélature avec pour siège l’abbatiale de Pontigny dans l’Yonne.

A l’été 2002, nous avons franchi une nouvelle étape de notre histoire, en gardant ce statut donné par Rome mais en intégrant des laïcs prêts à s’engager dans le cadre d’équipes de mission, c’est-à-dire d’équipes, composées de ministres ordonnés et de baptisés, recevant ensemble mission de l’évêque local et de l’évêque de la Mission de France. Nous avons alors pris le nom de « Communauté mission de France ». C’est donc une structure originale, unique dans l’Eglise catholique : un évêque, le P. Yves Patenôtre, aussi archevêque de Sens-Auxerre, des prêtres, des diacres et d’autres chrétiens engagés, destinés aux « non-chrétiens ».

Lettre des évêques aux catholiques de France, « Proposer la foi dans la société actuelle », Le Cerf, 1997, p. 22

J-M Ploux, « Le christianisme a-t-il fait son temps ? », Paris, éd de l’Atelier, 1999.

Lettre aux Catholiques, p. 25

Epître à Diognète, traduction d’Henri-Irénée Marrou, Sources chrétiennes, n° 33, Le Cerf, 1952.

Concile Vatican II, Gaudium et Spes, 1.

Timothy Radcliffe, « Que votre joie soit parfaite », Le Cerf, Paris 2002, p. 19-20.

Premier supérieur du séminaire de la Mission de France (de 1942 à 1952).

Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, Le Seuil, 1975, p. 317

T. Radcliffe, op. cité, p. 31

Madeleine Delbrêl, « La joie de croire », Seuil, 1968, p 119

T. Radcliffe, op. cit. p. 37

d°, p. 34