LA MISSION DE L’AUMONERIE DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC (2)
A. Préambule.
Deux postulats :
Je m’adresse à des Chrétiens, des hommes et des femmes qui se reconnaissent du Christ,
Donc vous savez (vous êtes témoins) que la Vie est plus forte que la mort.
La rencontre de l’autre (l’étranger au sens de celui qui est “étrange“) ne vous fait pas peur.
B.Les jeunes sont les révélateurs des grands enjeux de nos sociétés.
Lorsque l’enfant paraît, s’il veut vivre, il est obligé de s’adapter au monde dans lequel il est projeté. C’est grâce à son intelligence qu’il va très vite réussir à s’adapter. C’est tout simplement une question de vie ou de mort. S’il choisit la vie c’est parce que son entourage affectif l’interpelle : “choisis la vie !“
L’enfant entrant dans le monde, n’est donc pas encore marqué par le passé, sa mémoire récente ne lui permet pas de prendre de la distance ! Parce que tout tourné vers l’avenir, seule solution vivable, il absorbe par capillarité le monde qui l’accueille.
Chez l’enfant en croissance, l’adolescent et les jeunes, ce processus continue. L’enfant (In fans en latin = être sans parole) apprend à parler “dans“ et “avec“ le monde. C’est ce dialogue perpétuel qui lui permet d’exister ( = de sortir de soi). Apprendre à parler dans le monde, c’est aussi parler du monde et avec le monde. Cet apprentissage se fait sous le contrôle des adultes. C’est tout l’art de l’éducation.
Ainsi on peut dire que les jeunes se laissent formater au gré de leur croissance, ils n’ont d’ailleurs pas le choix. Car vivre est à ce prix !
Mais l’enfant se caractérise par le jeu. Il ne dramatise pas ! Aussi, laissons-nous étonner par la capacité qu’ont les jeunes de jouer avec nos problèmes, (de se jouer de nos problèmes). Les enfants jouent à la guerre, ils jouent au divorce, ils jouent à la mort… parce que notre société vit avec la guerre, le divorce et la mort.
Si nous voulons connaître la culture des jeunes, il faut accepter avec lucidité de regarder notre culture et les effets originaux qu’elle suscite chez les plus jeunes, les plus fragiles et les plus exposés. Ils sont non seulement aux avant-postes de la modernité, mais ils en subissent les premiers effets. Les enfants ne sont donc pas purs, mais vierges ( = pas encore formatés). Leur fragilité les expose comme premières victimes des dysfonctionnements de notre monde (avant de dire que les jeunes sont violents, ayons l’honnêteté de reconnaître qu’ils sont les premières victimes de la violence).
Ils sont néanmoins les préférés de Dieu, comme les éternels pauvres cités dans la Bible. Dieu nous parle par les pauvres, Il leur donne mission d’annoncer sa miséricorde (cf. la Bible). Fréquenter les jeunes (vivre avec eux et au milieu d’eux), c’est découvrir les grandes questions de notre société et se mettre à l’écoute d’une parole que Dieu veut nous adresser.
C. Les jeunes traversés par les grands enjeux et les grandes questions du monde.
(cf. Le goût de l’avenir de Jean-Claude GUILLEBAUD, Seuil – sept 2003)
C.1. Les grands enjeux :
En ce moment, nous changeons de monde. Nous avons dépassé la révolution industrielle, et nous vivons dans une nouvelle combinaison de trois révolutions (Economique, Numérique et Génétique). Nous changeons carrément d’ère ! Sortant du néolithique par la fin du nomadisme et de la cueillette, l’homme est entré dans la civilisation par l’apparition de la culture (sédentarisation, enfouissement des morts). Aujourd’hui, nous subissons à nouveau un rapport inédit au réel, à la matière et au temps. Bref, une nouvelle ère qui bouleverse profondément le rapport de l’homme à l’espace, à la vie et à l’autre. Ne nous étonnons donc pas que les jeunes mettent en scène ce nouveau rapport à l’espace, à la vie et à l’autre. Nous n’avons pas encore le recul nécessaire ni les mots pour comprendre, car le processus est en cours. Nous ne pouvons l’analyser que de manière partielle et partiale. Nos héritiers seront plus lucides que nous lorsque le processus sera bien entamé !
C.2. Les grandes questions :
Mais cette nouvelle ère est ressentie de manière tout à fait originale par les jeunes, elle suinte à travers leur culture. Cette culture révèle les grandes questions qui traversent notre monde et qui sont en quête de réponses. Nous n’avons pas encore les réponses car elles sont en devenir, elles se construisent par ceux qui acceptent d’en vivre les défis. “Choisi la vie !“
C.2.1. La culture des jeunes repose la question du Bien et du Mal.
Dans notre société :
Qu’est-ce qui est bien ? Le Bien c’est quand je suis bien ! Les hommes recherchent le bonheur, la société parle du bien-être (être bien dans sa peau, son corps, sa tête). Le bien est commercialisé et donc accessible. Il est collé à la réussite. On cherche à réussir tout… jusqu’à son divorce ! Tout est tourné vers ce “bien“. Dans notre société et notre culture, le mal est non seulement nié, mais inversé. Jusqu’à la victime qui est culpabilisée et qui devient insidieusement ‘coupable’ !
Dans la culture des jeunes :
Les jeunes sont les premiers consommateurs de ces biens. Leur culture est une culture de la consommation. Or les jeunes ne sont pas encore adultes, donc ils ne savent pas cacher le mal, ni l’évacuer en l’ignorant. Ils nous interpellent par leur capacité à succomber au mal. Leur culture le met en scène, l’habille en lui donnant un visage : le Diable (cf. le gothique). Des jeunes jouent avec des images diaboliques, des paroles et des signes distinctifs jusqu’à des rites qui révèlent la réalité du Diable.
Le Diable dans la Bible est celui qui rompt le Lien. Il s’oppose frontalement à l’Alliance. Or le langage est le lieu du lien. Mais Satan est le père du mensonge. Il manie la langue. Il manipule le verbe pour introduire le doute jusqu’à faire croire. Les jeunes sont séduits par le jeu des langages qui brouillent les pistes, ils inventent des langues, ils détournent des mots et en jouent. Ils inventent des “histoires“. Ils montent des embrouilles. Tout cela pour se faire aimer ou être reconnu ! Mais ils sont les premières victimes du grand mensonge. En effet, la société dit les aimer ! En fait la société aime la “jeunesse“ et tout ce qui fait “jeune“ mais elle exclut les jeunes (pas de travail, pas de responsabilité, pas de reconnaissance…).
Les champs culturels des jeunes :
Les champs culturels des jeunes nous interpellent sur la place du mal dans nos sociétés. La société du Bien “a oublié“ l’existence du mal. Rappelons-nous que le mal existe et qu’il peut prendre possession du cœur de l’homme. Dieu nous parle par ces jeunes pour nous rendre lucides et vigilants. Comme disciples du Christ, nous connaissons et le combat contre le mal et le vainqueur de ce combat !
C.2.2. La culture des jeunes dénonce les limites et accumule les transgressions.
Dans notre société :
L’homme moderne n’a plus de limites. On se dépasse, on se surpasse. La société montre que ce qui était impossible hier devient réalité aujourd’hui. Dans les domaines du sport, de la médecine, de la technique, elle nous prouve que les limites sont faites pour être dépassées. Elle se bat contre tout ce qui hier paraissait encore impossible. Il ne faut donc pas se limiter, car cela donne une image fragile de soi ! Etre fragile ce n’est pas être bien… Or c’est la limite qui me signifie mon humanité. C’est la limite qui me fait homme et c’est la transgression qui me fait individu.
Dans la culture des jeunes :
Les jeunes dans “leur“ culture tuent les limites (vitesse, jeux d’extrême). Comme les adultes, ils les supportent très mal. Donc ils les transgressent pour s’affirmer, pour mieux exister. La transgression est utile dans notre société pour réussir. Les jeunes, non seulement, s’en rendent compte, mais ils en usent pour gagner. Face aux limites, et devant la nécessité de transgresser, ils ne supportent plus la frustration. Ils sont les enfants de ce siècle qui nous renvoient l’image de l’homme triomphant. L’homme fort, vainqueur à tout prix, est en train de tuer le corps, le temps, et d’essouffler la planète. Les jeunes quant à eux se tuent par le suicide, les conduites à risques et les toxicodépendances.
Les champs culturels des jeunes :
Tout compte fait les jeunes nous rappellent, à nous les héros, qu’eux ils sont fragiles ! Dieu nous parle à travers eux : c’est lui seul qui est Dieu. Comme disciples du Christ, nous confessons notre identité de fils.
C.2.3. La culture des jeunes affirme l’autonomie et appelle les liens.
Dans notre société :
L’autonomie est la grande victoire de notre siècle. L’homme est devenu autonome, toute forme de dépendance est définitivement bannie. Même Dieu n’est plus le concurrent de l’homme qui a enfin su s’en défaire. Il reste encore quelques vestiges de ces religions qui naguère le liaient à un au-delà, ou pire ‘un tout-puissant’.
Dans la culture des jeunes :
Comme leurs parents, les jeunes sont libres et épris de liberté. La liberté est rendue possible par l’autonomie constamment revendiquée. Mais leur culture nous révèle que cette saturation d’autonomie conduit à l’individualisme, et l’individualisme engendre la solitude. « Cette solitude engendre des nostalgies fusionnelles : fêtes, rave-parties, liturgie des stades ou des concerts, rassemblements protestataires, chaleur des foules, grand-messes du rock, du foot, de la techno, des voyages pontificaux ou de la politique, etc. Ces moments fusionnels ont d’autant plus nos faveurs qu’ils viennent combler un manque ou consoler une solitude. L’individualisme a creusé entre les êtres une distance, un vide, que peuvent quelquefois remplir, l’espace d’un moment, ces messes profanes. » (Le goût de l’avenir, p.116).
Dans le langage des adolescents, « s’éclater », « s’exploser » ou « faire la fête » signifie retrouver quelque chose comme le lien. Ce lien est nécessaire pour lutter contre la peur. Ce lien impose un conformisme à outrance dans le langage, le vêtement, la musique, la vie amoureuse des jeunes. Ce conformisme rassure et leur renvoie une reconnaissance et une “affection“, à l’abri des conflits.
Les champs culturels des jeunes :
Ces jeunes nous rappellent que le lien permet au “moi“ d’exister. A chaque homme il faut à la fois la distance (l’autonomie) et le lien. Dieu nous interpelle car il sait que la brisure du lien brise l’existence. Comme disciples du Christ, nous témoignons de l’Alliance, alliance avec les hommes, alliance avec le Père.
C.2.4. La culture des jeunes caricature la transparence et appelle l’intériorité.
Dans nos sociétés :
“L’exhibition de l’intimité devient une démarche valorisée. L’appareil médiatique s’est redéployé pour répondre à ce marché. Télé-réalité, monologues très personnels, débats sur les mœurs, interactivité radiophonique : quantité d’espaces ont été créés au fil des ans où s’épanouit, jour après jour, cette effusion confessante. Les titres choisis pour ces émissions parlent d’eux-mêmes : “Bas les masques“, “Le Droit de savoir“, “Y a que la vérité qui compte !“, “Vis ma vie“, “Ca se discute“, “Vie privée, vie publique“, etc.“.(cf. Le goût de l’avenir, p. 147). L’homme a appris à se mettre à nu, sans nul besoin de contrainte physique (cf. : Loft Story). On passe de l’intimité à l’extémité. Il faut quotidiennement “lever le voile“, “briser les silences“, “avouer“ son homosexualité ou son goût immodéré pour le chocolat. L’espace privé se dissout dans l’espace public. Tout se donne à voir et la société ayant horreur des tabous, tout peut être vu !
Dans la culture des jeunes :
La culture des jeunes renforce l’image de soi et accentue ce voyeurisme. Très jeune on travaille le look et on en montre toujours plus ! Mais dans cette culture de l’image, le regard devient une arme tournée vers soi : “Il m’a jeté un regard !“. Ou alors, à l’inverse, on se rétracte pour ne plus être vu. On idéalise et revendique le “voile“ pour se protéger de cette anthropophagie du regard. En contrepoint, les jeunes nous interpellent pour nous rappeler que cette transparence risque d’effacer le sujet, de l’homme il ne reste plus que la silhouette vendue sur le marché bio. Comme pour nous alerter de ce danger, beaucoup de jeunes se mettent en quête de l’intériorité. Ils recherchent la densité du sujet dans l’intériorité ou dans les religions et spiritualités.
Les champs culturels des jeunes :
Dieu nous parle à travers cette quête du sujet. Dans une société de l’image, Il nous rappelle le risque des idoles. Les jeunes veulent du sens ! Comme disciples du Christ, nous savons qu’Il est la Voie, la Vérité et la Vie.
C.2.5. Les jeunes ne croient plus en rien !
Dans nos sociétés :
Les hommes ont appris à relativiser toutes les croyances. Et au nom de ce relativisme, ils ont refoulé les croyances dans la sphère du privé. Mais, paradoxalement, aujourd’hui le monde assiste impuissant à une recrudescence de fondamentalismes. Des hommes se battent pour des idées (des croyances). A ces derniers la société veut s’opposer sur le seul terrain militaire et policier. Or aux idées folles, il faut être capable d’opposer des idées qui ne le sont pas !
Dans la culture des jeunes :
Les jeunes ont soif d’idées, d’idéal et de croyance pour construire du sens. Ils sont là à grignoter tout ce qui est disponible (réincarnation).
Les champs culturels des jeunes :
Les jeunes nous rappellent que la croyance est une dimension de l’intelligence humaine. Foi et Raison sont mutuellement nécessaires pour permettre à l’homme d’exister. Dieu nous parle à travers eux : Pour vous qui suis-je ?
D. Un Evangile pour ce monde-là ?
D.1. Chasser la crainte ! N’ayez pas peur !
Toute fêlure de l’histoire ouvre à une APOCALYPSE (= une révélation). Cette révélation ne se mesure pas avec le passé, ni avec l’avenir, mais par la profondeur. “Avance en eau profonde !“
D.2. Le trésor de chaque Vie : “Avance en eau profonde !“
Après de longues années de misère qui n’avaient cependant point entamé sa confiance en Dieu, Eisik, fils de Yekel de Cracovie, reçu en rêve l’ordre de se rendre à Prague pour chercher un trésor sous le pont qui mène au palais royal.
Lorsque ce rêve se fut répété pour la troisième fois, Eisik se mit en route et gagna Prague à pied. Mais le pont était gardé jour et nuit par des sentinelles et il n’osa pas creuser à l’endroit qu’il savait. Il revenait là chaque matin cependant, tournant autour jusqu’au soir. Pour finir, le capitaine de la garde qui avait remarqué son manège s’approcha et s’informa non sans cordialité : avait-il perdu quelque chose ou bien attendait-il quelqu’un ? Eisik lui raconta le rêve qui l’avait mené jusque-là depuis son lointain pays et le capitaine éclata de rire : « Et c’est pour complaire à un rêve, mon pauvre vieux, que tu as fais à pied, avec ces semelles trouées, tout ce chemin ! Ah là là ! si l’on devait se fier aux rêves, malheureux ! A ce compte-là, j’aurai dû moi aussi me mettre en campagne après un rêve que j’ai fait et courir jusqu’à Cracovie chez un juif, un certain Eisik, fils de Ykel, pour chercher un trésor sous le fourneau ! Eisik, fils de Yekel, tu parles ! Dans cette ville où la moitié des juifs s’appelle Eisik et l’autre moitié Yekel, je me vois entrant, une après l’autre, dans toutes les maisons et les mettant sens dessus dessous !
Ayant dit, cela, il s’esclaffa de nouveau. Eisik s’inclina, rentra chez lui et déterra le trésor.
( Chemin de l’homme, Martin BUBER)
D.3. Sommes-nous convaincus que l’Evangile a à apporter quelque chose aux jeunes en Europe aujourd’hui ?
Une conviction qui m’anime : l’Evangile est un cadeau pour les jeunes !
L’Evangile est un don pour les jeunes au point de vue social. C’est l’appel à VIVRE ENSEMBLE.
L’Evangile est un don pour les jeunes au point de vue théologique. C’est la révélation d’un DIEU qui SAUVE.
L’Evangile est un don pour les jeunes au point de vue anthropologique. C’est la conviction que l’homme est un ETRE de PAROLE et que cette parole se vérifie dans l’ALLIANCE.
Dans le mystère de la personne de Jésus se révèle le mystère de l’homme. L’évangélisation se vérifie par la promotion humaine, au point de vue social, au point de vue psychique et au point de vue anthropologique.
Daniel FEDERSPIEL, sdb