Message du pape François pour la pastorale des vocations au Congrès international des vocations à Rome
Une délégation de 10 français, conduite par Mgr Denis MOUTEL, évêque de St Brieuc-Tréguier, président du Conseil pour la pastorale des enfants et des jeunes et Sr Nathalie Becquart, directrice du Service pour la pastorale des jeunes et pour les vocations, rentre très heureuse, dynamisée et ressourcée du congrès international pour les vocations (18-21 octobre à Rome).
Ce fut un temps fort riche, intense avec des conférences très intéressantes, beaucoup d’échanges, dans un climat très fraternel et particulièrement marqué par la rencontre avec le Pape François vendredi matin.
Voici le discours qu’il a adressé aux congressistes.
Messieurs les Cardinaux,
Chers frères évêques et prêtres,
Frères et sœurs,
Je vous accueille avec joie au terme de votre congrès organisé par la Congrégation pour le clergé et je remercie le cardinal Beniamino Stella pour les aimables paroles qu’il m’a adressées en votre nom à tous.
Je vous confesse que j’ai toujours un peu de crainte à employer certaines expressions communes de notre langage ecclésial : « pastorale vocationnelle » pourrait faire penser à l’un des nombreux secteurs de l’action ecclésiale, à un service de la curie ou, peut-être, à l’élaboration d’un projet. Je ne dis pas que ceci ne soit pas important, mais il y a beaucoup plus : la pastorale vocationnelle est une rencontre avec le Seigneur ! Quand nous accueillons le Christ, nous vivons une rencontre décisive, qui met la lumière dans notre existence, nous sort de l’étroitesse de notre petit monde et nous fait devenir des disciples amoureux du Maître.
Vous n’avez pas choisi au hasard comme titre de votre congrès : « Miserando atque eligendo », la parole de Bède le Vénérable (cf. Om. 21: CCL 122,149 ; Liturgia Horarum, 21 sept., Officium lectionis, lectio II). Vous savez – je l’ai dit d’autres fois – que j’ai choisi cette devise en faisant mémoire des années de ma jeunesse où j’ai senti fortement l’appel du Seigneur : cela ne s’est pas produit à la suite d’une conférence ou pour une belle théorie, mais pour avoir fait l’expérience du regard miséricordieux de Jésus sur moi. Cela s’est produit ainsi, je vous dis la vérité. Il est donc beau que vous soyez venus ici, de nombreuses parties du monde, pour réfléchir sur ce thème mais, s’il vous plaît, que tout ne finisse pas avec un beau congrès ! La pastorale vocationnelle consiste à apprendre le style de Jésus, qui passe dans les lieux de la vie quotidienne, s’arrête sans hâte et, regardant ses frères avec miséricorde, les conduit à la rencontre avec Dieu le Père.
Les évangélistes mettent souvent en évidence un détail de la mission de Jésus : Il sort sur les routes et se met en chemin (cf. Lc 9,51), « il parcourt villes et villages » (cf. Lc 9,35) et va à la rencontre des souffrances et des espérances du peuple. Il est « Dieu avec nous », qui vit au milieu des maisons de ses enfants et ne craint pas de se mêler à la foule de nos villes, devenant ferment de nouveauté là où les gens luttent pour une vie différente. Même dans le cas de la vocation de Matthieu, nous trouvons le même détail : d’abord Jésus sort de nouveau pour prêcher, puis il voit Lévi assis au bureau de la douane et enfin il l’appelle (cf. Lc 5,27). Nous pouvons nous arrêter sur ces trois verbes qui indiquent le dynamisme de toute pastorale vocationnelle : sortir, voir et appeler.
Avant tout : sortir. La pastorale vocationnelle a besoin d’une Église en mouvement, capable d’élargir ses propres frontières, les mesurant non pas sur l’étroitesse des calculs humains ni sur la peur de se tromper, mais sur la mesure large du cœur miséricordieux de Dieu. Il ne peut y avoir de semailles fructueuses de vocations si nous restons simplement enfermés dans le critère pastoral commode du « on a toujours fait comme cela », sans « être audacieux et créatifs dans cette tâche de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes d’évangélisation des communautés elles-mêmes » (exh. Ap. Evangelii gaudium, 33). Nous devons apprendre à sortir de nos rigidités qui nous rendent incapables de communiquer la joie de l’Évangile, des formules standardisées qui se montrent souvent anachroniques, des analyses préconçues qui classent la vie des personnes dans des schémas froids. Sortir de tout cela.
Je le demande surtout aux pasteurs de l’Église, aux évêques et aux prêtres : vous êtes les principaux responsables des vocations chrétiennes et sacerdotales et cette tâche ne peut être reléguée à un service bureaucratique. Vous aussi, vous avez vécu une rencontre qui a changé votre vie quand un autre prêtre – le curé, le confesseur, le directeur spirituel – vous a fait faire l’expérience de la beauté de l’amour de Dieu. Et ainsi vous aussi : en sortant, en écoutant les jeunes – il faut de la patience ! – vous pouvez les aider à discerner les mouvements de leur cœur et à orienter leurs pas. C’est triste quand un prêtre ne vit que pour lui-même, s’enfermant dans la forteresse sûre du presbytère, de la sacristie ou du groupe restreint des « très fidèles ». Au contraire, nous sommes appelés à être des pasteurs au milieu du peuple, capables d’animer une pastorale de la rencontre et de dépenser du temps pour accueillir et écouter tout le monde, en particulier les jeunes.
Deuxièmement : voir. Sortir, voir. Quand il passe sur les routes, Jésus s’arrête et croise le regard de l’autre, sans hâte. C’est cela qui rend son appel attirant et fascinant. Aujourd’hui, malheureusement, la hâte et la rapidité des stimulants auxquels nous sommes soumis ne laissent pas toujours d’espace à ce silence intérieur où résonne l’appel du Seigneur. Parfois, il est possible de courir ce risque aussi dans nos communautés : les pasteurs et les agents pastoraux, pris par la hâte, excessivement préoccupés par les choses à faire, qui risquent de tomber dans un activisme d’organisation vide, sans réussir à s’arrêter pour rencontrer les personnes. L’Évangile, en revanche, nous fait voir que la vocation commence par un regard de miséricorde qui s’est posé sur moi. C’est ce terme, « miserando », qui exprime en même temps l’étreinte des yeux et du cœur. C’est ainsi que Jésus a regardé Matthieu. Finalement, ce « publicain » n’a pas senti sur lui un regard de mépris ou de jugement, mais il s’est senti regardé au-dedans avec amour. Jésus a défié les préjugés et les étiquettes des gens ; il a créé un espace ouvert, dans lequel Matthieu a pu revoir sa propre vie et commencer un nouveau chemin.
C’est ainsi que j’aime penser le style de la pastorale des vocations. Et, permettez-moi, j’imagine le regard de tous les pasteurs de la même manière : attentif, sans hâte, capable de s’arrêter et de lire en profondeur, d’entrer dans la vie de l’autre sans jamais le faire se sentir menacé ou jugé. C’est un regard, celui du pasteur, capable de susciter la stupeur pour l’Évangile, de réveiller la torpeur où la culture de la consommation et de la superficialité nous immerge et de susciter des questions de bonheur authentiques, surtout chez les jeunes. C’est un regard de discernement, qui accompagne les personnes, sans mettre la main sur leur conscience ni prétendre contrôler la grâce de Dieu. Enfin, c’est un regard attentif et vigilant et, pour ceci, continuellement appelé à se purifier. Et quand il s’agit des vocations sacerdotales et de l’entrée au séminaire, je vous prie de faire le discernement dans la vérité, d’avoir un regard avisé et prudent, sans légèreté ni superficialité. Je le dis en particulier à mes frères évêques : vigilance et prudence ! L’Église et le monde ont besoin de prêtres mûrs et équilibrés, de pasteurs intrépides et généreux, capables de proximité, d’écoute et de miséricorde.
Sortir, voir et, troisième action, appeler. C’est le verbe typique de la vocation chrétienne. Jésus ne fait pas de longs discours, il ne remet pas de programme auquel adhérer, ne fait pas de prosélytisme et n’offre pas de réponses pré-emballées. En s’adressant à Matthieu, il se limite à dire : « Suis-moi ! ». Ainsi, il suscite en lui la fascination de découvrir un nouveau but, ouvrant sa vie vers un « lieu » qui va au-delà du petit banc où il était assis. Le désir de Jésus est de mettre les personnes en chemin, de les secouer d’une sédentarité létale, de rompre l’illusion que l’on peut vivre heureux en restant confortablement assis entre ses propres sécurités.
Ce désir de recherche, qui habite souvent les plus jeunes, est le trésor que le Seigneur met dans nos mains et que nous devons soigner, cultiver et faire germer. Regardons Jésus qui passe le long des rives de l’existence, recueillant le désir de celui qui cherche, la déception d’une nuit de pêche qui s’est mal passée, la soif ardente d’une femme qui va au puits puiser de l’eau ou le besoin fort de changer de vie. Ainsi, nous aussi, au lieu de réduire la foi à un livre de recettes ou à un ensemble de normes à observer, nous pouvons aider les jeunes à se poser les bonnes questions, à se mettre en chemin et à découvrir la joie de l’Évangile.
Je sais bien que votre tâche n’est pas facile et que, parfois, malgré un engagement généreux, les résultats peuvent être rares et nous risquons d’être frustrés et de nous décourager. Mais si nous ne nous enfermons pas dans les lamentations et que nous continuons à « sortir » pour annoncer l’Évangile, le Seigneur reste à nos côtés et nous donne le courage de lancer les filets, même quand nous sommes fatigués et déçus de n’avoir rien pêché.
Aux évêques et aux prêtres, surtout, je voudrais dire : persévérez à vous faire proches, dans la proximité – cette « synkatabasis » du Père et du Fils avec nous – ; persévérez à sortir, à semer la Parole, avec un regard de miséricorde. La pastorale des vocations est confiée à votre action pastorale, à votre discernement et à votre prière. Ayez soin de la promouvoir en adoptant les méthodes possibles, en exerçant l’art du discernement et en donnant l’impulsion, à travers l’évangélisation, au thèmes des vocations sacerdotales et à la vie consacrée. N’ayez pas peur d’annoncer l’Évangile, de rencontrer, d’orienter la vie des jeunes. Et ne soyez pas timides pour leur proposer la voie de la vie sacerdotale, montrant avant tout par votre joyeux témoignage qu’il est beau de suivre le Seigneur et de lui donner sa vie pour toujours. Et, comme fondement de cette œuvre, souvenez-vous toujours de vous confier au Seigneur, implorant de lui de nouveaux ouvriers pour sa moisson et soutenant les initiatives de prière en soutien des vocations.
Je suis certain que ces journées, dans lesquelles tant de richesse a circulé, grâce entre autres aux intervenants qui y ont participé, pourront contribuer à rappeler que la pastorale vocationnelle est une tâche fondamentale dans l’Église et met en cause le ministère des pasteurs et des laïcs. C’est une mission urgente que le Seigneur nous demande d’accomplir avec générosité. Je vous assure de ma prière ; et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.