Adolescence et engagement : (2)

Comment mieux les comprendre, les adolescents d’aujourd’hui ? En les accueillant tels qu’ils sont et non tels que nous voudrions qu’ils soient ! L’adolescent, psychologiquement, veut devenir lui-même, différent des adultes, que ces adultes soient représentés par ses parents, par la société ou par l’aumônerie. Or les adolescents sont témoins aujourd’hui de la faillite des engagements des adultes…

La faillite des engagements adultes :

Une des premières faillites de l’engagement des adultes que constate l’adolescent est celui du mariage. Il vit l’échec de l’engagement de ses parents. L’ado se pose toujours en lui-même la question de ses origines : d’où je viens ? Avec ce moment psychique où je doute que mes parents soient mes parents. Son questionnement est perturbé par la faillite de l’engagement du mariage. C’est une première difficulté pour les adolescents, car les adultes ont du mal à tenir l’engagement fondateur.

Autre remise en cause, la faillite des engagements entre adultes. Les contrats de travail ne sont plus respectés : démissions, licenciements, reconversions, contrats à durée déterminée, rachat et faillite des entreprises, etc. Dans la vie ordinaire un certain nombre d’engagements ne sont pas tenus. On pourrait multiplier ces exemples.

La dé-ritualisation des passages :

Autrefois, l’adolescence était encadrée par un certain nombre de rites, qu’ils soient républicains (permis de conduire), religieux (première communion, profession de foi) ou scolaires (BEPC). On sent bien que ces rites sont fragilisés, ils sont moins fréquemment utilisés et il n’y a plus d’âge spécifique. Le permis de conduire tend à être désinvesti par les ados dans le contexte urbain. Quant au bac, professionnel ou général, les adolescents disent qu’il faut l’avoir, mais pour quoi faire ?

Il y a donc moins nettement de séparation entre l’avant et l’après, moins de transition, moins de passage… On se maintient entre les deux : il y a de l’avant et de l’après… C’est le cas du « doudou » : en modernité, il n’y a pas de doudou quand je deviens adulte ; en postmodernité, on garde un objet transitionnel pour rester ado… Tout cela donne lieu à des micro-rites, chacun se donnant les siens. Le passage de l’adolescence consiste à quitter papa et maman dans une culture qui est plus difficile. C’est pourquoi le jeune s’entoure d’objets, de doudous (ex. le téléphone portable), de liens virtuels qui fonctionnent comme un doudou. A la télé, dans la Star Académy ou dans le Loft, les jeunes gens ont toujours des doudous.

D’un côté, ils accèdent à une vie affective et sexuelle d’adultes, et de l’autre, ils ont des comportements régressifs, infantiles (cf. le film « Tanguy »). Bien sûr, il y a des « adolescences » plurielles (cf. le livre de Philippe JEAMMET : « Adolescences »). Ce maintien entre l’avant et l’après est bien marqué pour les jeunes à l’occasion de leurs premiers pas dans une vie conjugale : on assiste ainsi à ces couples qui habitent encore chez leurs parents ou à ces couples qui peuvent vivre ensemble et revenir souvent chez leurs parents… Ce phénomène est également marqué chez les célibataires qui rentrent laver leur linge chez papa et maman. L’achat de la première machine à laver est souvent la marque d’une première coupure décisive. Par d’autres côtés, les adolescents expérimentent le fait de partager le quotidien de la vie des adultes qui sont encore à la fois dans l’avant et dans l’après, par exemple dans la formation continue qui dure toute sa vie. Il n’y a plus de paliers et le parent peut revenir lui-même avec des notes et des leçons à la maison ! Nous avons affaire à des relations inédites entre les parents et les enfants : les enfants ont des notes et les parents aussi. La supériorité des adultes s’efface.

Pour rendre compte de cette nouvelle donne de l’adolescence, une adolescence moins orientée, moins stabilisée, nous pourrions parler de fluidité . Ce terme rend compte d’une façon d’être, en phase avec le temps qui passe, le temps qui coule. L’engagement correspond à des stabilités, des repères. La fluidité s’inscrit dans une autre façon de mener ses actions. Avec la métamorphose qui s’opère à l’âge de l’adolescence, les engagements vont se transformer :

Les trois moments de l’adolescence :

Un Nord-Américain, Mihaly Csikszentmihalyi, dans son livre « Mieux vivre », propose d’approcher la vie humaine en utilisant le mot « flow » (fluide) plutôt que d’utiliser le terme de « stade » de développement. Si nous proposons trois temps de digestion, de réflexion, autour du grandissement et des engagements futurs, ces périodes des temps de la vie ne rendent pas compte de l’évolution des psychologies des adolescents. Le mouvement fluide du vivre tente de mieux rendre compte des nouvelles données des mouvements psychologiques dans une société qui s’est transformée. Nous grandissons et nous régressons, avec ses incertitudes et ses mouvements.

a) La préadolescence ou la post-enfance :

Cette période de la vie interroge un repère ancien appelé « période de latence » : l’enfant laisse ses questions pour se consacrer aux apprentissages. On s’aperçoit que dès 8, 9, 10 ans, les adolescents deviennent un peu plus grands qu’hier, plus matures. Mais attention, le mot est piégé, car les enfants sont différents. Avant même la puberté, ils sont déjà travaillés par la question de la transformation de leur corps. La puberté et les mouvements hormonaux sont plus précoces aujourd’hui. Il nous faut prendre en compte combien il est difficile pour eux d’habiter ce nouveau corps. C’est un travail psychique très coûteux (cf. les anorexies mentales). Leur image psychique ne correspond pas à la perception que les autres ont de leur propre corps.

b) L’âge collège, le cœur de l’adolescence : la quête de sens.

En gros, de la 5 ème à la 2 nde, il se produit une quête de sens. Ils sont en recherche de sens, à leur manière. Ils sont preneurs d’histoires, de films, d’images plus que de textes. La culture adolescente est ancrée dans l’image (cf. les marques, les logos, les tatouages, les piercings…). La place du corps est toujours en jeu : quel sens cela a-t-il d’être un corps ? Le corps devient une zone d’exploration. La quête du sens se vit en images plus qu’en recherche existentielle !

c) L’âge des possibles (selon un film de Pascal Ferrant) :

Cet âge court du Bac jusqu’à la vie adulte. Les plus jeunes souhaitent maintenir ouverts des possibles avant de s’engager, des engagements qui conduisent forcément à renoncer à un certain nombre de choses. C’est donc le temps des explorations. Ceux qui ne sont pas engagés refusent des engagements pour se laisser la liberté d’en vivre d’autres. Les « Bac+5 » préfèrent l’intérim ; ils s’investissent pour un contrat de projet. Dès qu’on leur propose un CDI, ils fuient à toutes jambes. Pour autant, passe une notion de construction de soi avec l’ouverture à des possibles et le refus de s’enfermer dans des choix arrêtés. Est-ce qu’aujourd’hui faire un choix est aussi opportun qu’avant pour rester dans le coup d’une société marquée par la fluidité ?

Une notion rejoint ce sens de la fluidité : l’identisation (cf. Pierre TAP, professeur). L’identité de la personne est un état, une affirmation, et on se trouve coincé dans un état qui parle d’espace et non de temps. L’identité connaît deux excès : soit je refuse l’altérité et je me crispe sur l’identitaire (j’exclus l’autre différent) ; soit je perds mon identité car je suis dans une transition et une recherche de ce que je suis. Il nous faudrait donc plutôt parler d’identisation, c’est-à-dire une identité fluide, changeante au fur et à mesure de mes expériences. Tout au long de notre vie, nous élaborons notre identité : elle est faite d’altération ; je fais place à l’autre, je tolère que mon identité pure soit interrogée par l’autre. Je perds en pureté, mais je gagne en adaptation, en combinaison avec autrui.

Ce mouvement d’identisation soulève quatre enjeux à l’âge de l’adolescence :

1. Etre le même que soi : La continuité de soi, quelle est-elle alors que mon corps change, mes amis changent, mes parents changent, que je peux aussi déménager… ? Comment rester le même dans tant de changements ?

2. Etre le même que certains autres : Quelle identification ? Cela passe par la recherche de modèles.

3. Etre différent de certains autres : Quelle singularisation ? Apprendre à être singulier vis-à-vis des parents, des copains… Ne pas être le même que d’autres ados (rap, intello, racaille… On appartient à des sous-groupes).

4. Accepter la différence en soi, avec soi : Accepter de porter la contradiction, les conflits psychiques (j’aime mes parents et je les déteste), les ambivalences…

Quelques réflexions conclusives :

L’engagement dont nous parlons évoque souvent le groupe. Or, les adolescents fonctionnent en réseau. Le groupe suppose une communauté d’histoire et de lieu ; le réseau est plus fluctuant. Le communicationnel l’emporte sur le relationnel. Comment voir cela avec un regard accueillant ? Etre chrétien, c’est peut-être aimer le monde tel qu’il est. L’engagement, tel que nous l’entendons le plus souvent, est lié au groupe, à des références antérieures qui peuvent nous fermer à la nouvelle culture qui se développe. Chaque notion possède ses chances et des limites. Soyons accueillants.

Nous sommes en train de passer du patriarcat au matriarcat. Le patriarcat met en avant le rôle du père, de la parole tenue, de l’autorité. Le matriarcat ou la matrifocalité focalise sur la relation maternelle, maternante. D’où la difficulté pour vivre des séparations. Or l’engagement suppose de se séparer d’une famille pour entrer dans une autre famille, alors que le matriarcat provoque la peur de l’abandon, rend difficile l’idée de faire sans l’autre…

Selon le rang qu’on occupe dans la fratrie, les adolescents ne réagissent pas de la même manière. Le benjamin (ben-yamin : littéralement enfant de la vieillesse) est le bâton de la vieillesse de ses parents. Il est là pour s’occuper de ses parents quand ils seront vieux ; il est leur assurance retraite. Sa destinée : se sacrifier pour ses parents qui vieillissent. Selon les statistiques qui dégagent quelques constantes, on perçoit quelques grands traits : les aînés se montrent plus conformistes, engagés dans le sillage de leurs parents ou d’un parent. Les cadets sont plus novateurs, ils veulent rompre avec les traditions familiales. Dans son livre, « Les enfants rebelles », Sulloway montre qu’un grand nombre des novateurs (artistiques, politiques, religieux) sont des cadets.

Intervention de Christian HESLON