Adolescence et engagement : (3)

INTRODUCTION

Le rôle de la théologie

Le rôle de la théologie n’est pas de fournir des justifications. Il est d’aider à mettre en rapport l’expérience vécue et le mystère de la foi pour qu’ils s’éclairent mutuellement. Il est d’aider à vivre les pratiques comme des expériences d’alliance, de rencontres avec le Dieu, Père, Fils et Esprit, que Jésus est venu nous révéler.

Dans votre recherche, le service que je peux rendre est de vérifier s’il est souhaitable et possible d’inscrire la pratique de l’engagement dans une pédagogie de la foi : dans une démarche d’initiation chrétienne. Pour cela, j’ai besoin d’entendre ce que vous-mêmes discernez, dans la vie des jeunes, d’un rapport entre leur foi et un engagement. J’ai aussi besoin de mieux savoir si vous-mêmes, vous établissez un rapport entre vos engagements et votre foi en Jésus-Christ.

La compréhension de l’engagement a bougé et le rapport entre cet engagement et la foi aussi. A l’époque postconciliaire où l’Action Catholique était très forte, ce rapport était considéré comme essentiel à la foi. Or, nous faisons le constat que, pour un certain nombre de chrétiens, l’engagement suscité par leur foi les a conduits vers un recul par rapport à leur foi ; que leur engagement n’a pas provoqué l’approfondissement escompté. Aujourd’hui, la foi rime plus avec intériorité et spiritualité qu’avec engagement. Elle se situe plus dans la ligne d’une quête spirituelle de sens et d’intériorité, que dans la ligne des engagements.

Mais, ne faut-il pas, dans une perspective d’évangélisation et d’initiation chrétienne, refavoriser le lien engagement et foi ? L’engagement n’est pas simplement une activité possible, c’est quelque chose qui structure l’humanité. Et comme tel il concerne forcément la foi.

C’est à une recherche préliminaire que nous invitent les deux questions du carrefour qui va suivre :

 Comment situons-nous les engagements des jeunes (ceux qu’ils ont d’eux-mêmes – ceux qu’on leur propose) dans une démarche croyante ? dans une pédagogie de la foi ?

 Comment situons-nous nos propres engagements dans une démarche croyante ? dans une pédagogie de la foi ?

Nous pouvons réfléchir ces questions selon les 3 axes de la recherche anthropologique concernant l’engagement :

 Le rapport à soi (la construction de soi).

 Le rapport aux autres.

 Le rapport à l’avenir, la mise en projet.

Avec ces trois axes, nous pouvons ouvrir des perspectives en cherchant en quoi ils peuvent ouvrir à l’accueil de la Bonne Nouvelle.

Y a-t-il un lien et de quelle nature entre engagement et expérience chrétienne ? Nous connaissons tous et toutes des gens qui ne sont pas croyants et qui peuvent donner des leçons d’engagement. Il est évident que s’il y a un lien entre engagement et expérience chrétienne, ce n’est pas un lien de nécessité : l’engagement ne suppose pas la foi ! Des non croyants sont engagés ! Ils y croient, ils portent un idéal, ce qui peut suggérer qu’il y a toujours un rapport entre l’engagement et une attitude croyante, mais pas nécessairement avec la foi chrétienne. Ceci dit, parce que l’engagement est une expression de l’humanité, la foi ne peut être étrangère à cette expression d’humanité. Le lien foi-engagement est continuellement à construire, à vérifier, à corriger. Il est affaire de liberté et de grâce. Nous n’en sommes pas maîtres. Les libertés, nous pouvons les accompagner avec des médiations qui sont des lieux (par exemple les aumôneries), des temps (les temps forts), des témoins, des pratiques… Par contre, la grâce, nous ne pouvons que la demander !

Un groupe a demandé s’il fallait parler de pédagogie de la foi ou tout simplement dire qu’il s’agit d’accompagner les gens, d’être avec, d’être présent ? J’ai souri intérieurement… Quand on fait référence au récit d’Emmaüs, on ne parle pas d’une promenade de santé, mais on découvre une pédagogie très claire qui ne relève pas de la seule improvisation ! Cette pédagogie se décline ainsi :

 une rencontre à opérer,

 une liberté de parole à susciter,

 une relecture à favoriser,

 des interpellations à adresser,

 des célébrations à provoquer…

Hypothèse :

Pour mon propos concernant le lien entre engagement et expérience chrétienne, pourquoi ne pas essayer de mettre en rapport les trois aspects de l’engagement (affirmation de soi, solidarité avec les autres, préparation d’un avenir), avec les 3 vertus théologales : foi, charité et espérance qui structurent l’expérience chrétienne. Essayons de voir ce que cela donne si on met en vis-à-vis, la foi et l’affirmation de soi ; la charité et la solidarité vécue ; l’espérance et l’engagement pour un avenir. Regardons quels accents cela révèle, quelles conversions cela favorise, quel aspect du mystère chrétien cela éclaire.

I – La foi et l’affirmation de soi

La base anthropologique :affirmation de soi

Aujourd’hui, l’engagement est d’abord vécu et apprécié comme une affirmation de soi, alors que naguère, il était plutôt enraciné dans un besoin de projeter (plus sur le versant de l’espérance). L’engagement est donc un moyen de se poser en s’exposant : se poser aux yeux des autres et à ses propres yeux. Des jeunes choisissent d’être acteurs pour devenir sujets. De fait, ils prennent conscience dans leurs engagements de leurs capacités. Ils en prennent conscience dans la mesure où ils mettent en œuvre des capacités créatrices. Ils manifestent là leur liberté.

Quand on y regarde bien, on s’aperçoit que s’ils s’exposent ainsi, c’est parce que quelqu’un, une personne un groupe, les a appelés. C’est dans cet appel, plus ou moins clairement formulé, qu’ils trouvent le ressort et le courage de se lancer. D’une certaine façon, tout en s’affirmant, ils s’appuient sur une confiance qui leur est faite. C’est parce qu’ils pensent que nous les croyons capables, qu’ils se sentent capables. Même si aujourd’hui les générations montantes ne veulent pas s’encombrer de l’histoire, il n’empêche qu’en agissant, ils s’inscrivent dans une filiation. D’autres ont agi avant eux, et ceux qui s’engagent s’insèrent dans une histoire, même s’ils n’en ont pas trop conscience. Dans cette expérience, ils courent aussi le risque de l’échec qui peut les écraser, les décourager ou bien leur permettre de rebondir s’ils se sentent soutenus et appuyés.

Aspects du mystère chrétien :

Faisons l’hypothèse que cette envie d’agir a quelque chose à voir avec la dynamique de la foi, qui est tout ensemble un mystère de liberté et de filiation. Si on pense que cette envie d’agir a à voir avec un mouvement de confiance radical qui permet d’oser, sur quoi va-t-on mettre l’accent dans une relecture avec les jeunes concernés ? On mettra spontanément l’accent sur l’appel, pour faire pressentir qu’ils ont été invités, appelés, par des groupes, des personnes, qui leur faisaient confiance. On valorisera donc tous les signes de confiance, de reconnaissance, dont ils ont bénéficié dans leurs engagements, par les encouragements prodigués et les résultats obtenus.

Nous avons aussi intérêt à nous rendre attentifs aux choix que l’engagement les mène à faire : choix entre la poursuite de l’action engagée et autre chose (comme des temps de détente). Il faudra aussi les aider à gérer l’échec, à le traverser, à faire l’expérience de renaître. Cela peut ouvrir à ce Dieu qui nous a suscités dans un acte de confiance, nous faisant libres et fils. Il est possible que dans le témoignage de Jésus, nous trouvions des aspects de sa vie où il se manifeste comme homme libre et fils bien aimé, agissant avec autorité et en même temps soumis à la volonté du père. Ce témoignage peut devenir parlant dans l’expérience vécue. De même que peuvent jouer un rôle important des temps forts liturgiques et sacramentels. Nous pouvons y faire l’expérience d’être refaits pour pouvoir mieux faire. Il peut s’instaurer une réciprocité : une expérience de liberté soutenue et fondée, ouvre au mystère de la filiation (traversée, échec, appel) et dans le même temps, nous découvrons que notre Dieu est celui qui suscite des fils libres.

II – la charité et la solidarité vécue

La base anthropologique : le souci des autres

Le souci des autres demeure aujourd’hui un levier puissant, en particulier dans l’action humanitaire. Quand on s’engage derrière une cause et des idées, on trouve aussi des personnes. Et on découvre que le sort des autres ne peut nous laisser indifférents. L’engagement est une expression de solidarité, c’est une manière de servir les autres. C’est aussi une manière de faire avec les autres. L’engagement est rarement personnel. Faire quelque chose avec d’autres crée des liens. L’engagement fait bouger le rapport de soi aux autres dans le sens d’une fraternité vécue et d’un partenariat. Nous avons besoin les uns des autres. Cette sortie de soi, tout en étant une affirmation de soi, est une dynamique de la charité.

Aspects du mystère chrétien : les exigences du vivre en frères

La référence à ce mystère de charité, qui a pris visage en Jésus, va nous faire valoriser certains aspects de l’engagement :

Le service désintéressé , sans calcul. Une des façons de le vivre est de se mettre au service des plus pauvres, c’est-à-dire de ceux dont on considère qu’ils n’ont rien à donner, ce qui est sans doute faux. Un service des plus pauvres porte le souci de coller aux attentes et besoins réels.

Le don de soi . Le don de soi va au-delà du fait de donner des choses. Il entre dans une logique du donner – recevoir : donner oui, mais aussi recevoir. L’exemple type est la Samaritaine : J’ai soif, donne-moi à boire… Quand on peut faire vivre la solidarité comme un échange on fait bouger les relations.

Le pardon . Pour bon nombre de catéchumènes qui ont vécu une jeunesse écrasée, pardonner, y compris à ses parents, est vraiment un acte fondateur de leur conversion. Tout acte de pardon va loin, parce que le pardon est ce qui rompt le cercle vicieux de la violence. Il ouvre un avenir là où il n’y en a plus, il manifeste à l’autre qu’à nos yeux il vaut plus que ce qu’il nous a fait. Cela suggère toute une pédagogie de la charité dans des engagements, grands ou petits, y compris dans la communauté aumônerie.

Cette pratique de la charité, qui a toujours à se convertir, nous permet d’entrer dans le mystère d’un Dieu communion et de le rendre compréhensible. Le mystère du Dieu trinité nous dit que notre Dieu n’est pas une puissance solitaire mais un mouvement d’amour.

III – l’espérance et l’engagement pour un avenir

La base anthropologique :l’avenir

Nous ne sommes plus à l’époque des grands récits, où on espérait, où on rêvait d’un monde complètement transformé. Même si aujourd’hui beaucoup agissent moins par projet que par révolte et refus, tout engagement est habité par un esprit et un idéal. Tout engagement est, plus ou moins consciemment, refus de la fatalité, négation d’un destin. Il est porteur d’un certain projet, de la conviction que du neuf est possible et que l’on doit contribuer à le faire advenir. L’espoir s’inscrit dans l’engagement. Il n’y a pas d’engagement sans désir et sans espoir. L’engagement comporte cette dimension de tension vers un avenir meilleur. Là encore, on peut pointer un certain nombre d’attitudes.

Le désir : Le désir porte l’engagement. Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu souhaites ? De quoi as-tu envie ? Il faut aider à expliciter le désir porteur.

La patience : La patience rime avec espérance, surtout quand les résultats tardent. C’est dur d’apprendre à savoir attendre sans se décourager quand on est porté à vivre dans l’instant.

La persévérance : Dans une ambiance culturelle qui privilégie la spontanéité, l’engagement requiert la persévérance. Les jeunes ont besoin de multiplier les expérimentations avant d’opter. Ils vivent en pointillés. Comment les aider à faire de ces pointillés une ligne continue, à mettre les choses en rapport ? Dans cette pédagogie, les temps forts symboliques sont importants, c’est-à-dire les temps forts qui anticipent l’avenir. La grâce de la fête est de faire vivre ce dont on rêve. On y trouve des ressources pour l’espérance.

Aspect du mystère chrétien : la promesse du Royaume

Dans l’Evangile, c’est à l’image du Royaume que l’expérience vécue dans l’engagement renvoie : le Royaume, c’est-à-dire, ce monde nouveau, recréé, refait à neuf, que Jésus ne cesse d’évoquer. Jésus est tendu vers l’avenir que Dieu donne, un avenir à construire avec Lui. Certaines paraboles du Royaume peuvent nourrir la persévérance et l’espérance concrètes des jeunes en les enracinant dans la promesse de Dieu. Et les sacrements anticipent l’avenir.

CONCLUSION

Un schéma peut résumer la structuration de l’expérience chrétienne vécue dans l’engagement :

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Un texte de l’Evangile illustre ces trois points : le récit de la multiplication des pains en Luc 9, 10-17. Ce texte met en scène Jésus, les Douze et la foule. La foule n’est pas active, sauf qu’elle a fait le déplacement car elle a envie d’entendre Jésus. Elle veut entendre la bonne nouvelle que Jésus leur propose. Il y a une attente. L’essentiel se joue entre Jésus et les Douze. Les Douze prennent les devants : ils veulent renvoyer les gens. Magnifique réflexe pour se défausser ! Ils ne se sentent pas responsables de ce qui arrivera aux gens. Quand Jésus leur dit de leur donner eux-mêmes à manger, ils ont déjà regardé ce qu’ils ont en réserve et savent qu’ils n’y arriveront pas. Sur l’ordre de Jésus, ils distribuent cependant la nourriture. Dans cette affaire, les apôtres s’engagent à contrecœur, et Jésus doit les pousser manifestant son amour pour la multitude. Lui accueille ceux qui le suivent, il annonce le royaume et il anticipe ce royaume à venir en guérissant, répondant à leur besoin avec surabondance. Il veut montrer sa capacité à nourrir et à donner la vie à tous. Il y a là une pédagogie par rapport aux apôtres :

 Il les oblige à partager, à prendre leur responsabilité (dimension de charité).

 Il les oblige à lui faire confiance, à le croire sur parole (faites ceci), il rassemble la foule (dimension de la foi).

 Il les associe à son action créatrice. Il permet aux gens de se refaire par la nourriture qui leur donne. Il fait entrevoir la plénitude qu’il propose, il renvoie au Royaume de Dieu (dimension de l’avenir).

Xavier DUBREIL