Maternal, prix du jury œcuménique du Festival de Locarno

MaternalPaola quitte l’Italie pour Buenos Aires où elle doit terminer sa formation de Sœur au sein d’un foyer pour mères adolescentes.

Réalisatrice : Maura Delpero
Date de sortie du film : 07 octobre 2020
Durée : 1h 29min

Genre : Drame

Récompense : prix du Jury œcuménique au festival de Locarno en 2019

Fiche proposée par P Cabrol, association Chrétiens et Cultures Montpellier

La réalisatrice

Maura Delpero est originaire de Bolzano, en Italie. Elle a fait des études de lettres à Bologne et à Paris et s’est installée en Argentine. Professeure, elle y a découvert les foyers de mères célibataires mi neures, quelquefois laïcs mais aussi tenus par des religieuses.

Documentariste de formation, Maura Delpero a tourné depuis 2006 trois documentaires. Pour son premier long métrage, elle a choisi un sujet librement inspiré par son expérience de quatre ans au sein d’un hogar argentin, c’est à dire un foyer tenu par des religieuses qui accueillent des jeunes mères, souvent mineures, pour les accompagner dans l’éducation de leur progéniture. La réalisatrice précise qu’elle a vu un jour une jeune religieuse tenant le bébé d’une mère célibataire, et cette image lui a inspiré ce scénario.

Synopsis

Sur le point de prononcer ses vœux définitifs, Paola, novice italienne, quitte l’Italie pour Buenos Aires où elle doit terminer sa formation de Sœur au sein d’un foyer pour mères adolescentes. Ce foyer pour jeunes filles mineures avec des enfants est tenu par des religieuses. Ces religieuses offrent à leurs pensionnaires le gîte et le couvert à condition qu’elles obéissent aux règles du lieu et donnent à leurs enfants une éducation religieuse.

Paola y rencontre deux jeunes mères de 17 ans, Fatima une fille enceinte timide et très amie avec Luciana, une résidente rebelle qui veut élever son bébé mais également rester aux côtés de son petit ami, un garçon violent. Paola se lie d’amitié avec Fatima et quand Luciana s’échappe du couvent, elle s’occupe de Nina, la petite fille de Luciana.

À une période de leur vie où chacune se trouve confrontée à des choix, ces trois jeunes femmes que tout oppose vont devoir s’entraider et repenser leur rapport à la maternité.

Des éléments d’analyse pour un ciné-débat

La structure du film

  • Se remémorer les premières et dernières images du film : elles sont fondamentales et préciser les lieux du récit

Dès le début du film, nous voyons un très gros plan sur la croix de Paola, puis la caméra s‘approche du visage de Paola, assise dans un taxi avec la vitre aux trois quarts fermée : c’est un gros plan. Paola sort du taxi et se dirige vers le hogar. Nous la voyons de dos (donc nous la suivons). A la fin du film la caméra capte en gros plan le visage de Luciana dans un taxi, au même endroit qu’au début du film, mais cette fois-ci la vitre du taxi est aux trois quarts ouverte. De la première image (Paola entre dans le couvent), à la dernière image, (Luciana sort du couvent : une autre vie ?), nous sommes dans un lieu clos fermé, mais rassurant.

  • Proposer aux spectateurs de définir et nommer les 3 grandes parties du récit et rappeler les scènes marquantes pour définir les relations qui vont s’établir entre les jeunes femmes.

Maternal a la structure d’un scénario classique en trois actes : l’exposition, la confrontation et la résolution. Traditionnellement, pour un film de 1h30, les trois actes sont d’égale longueur, soit trente minutes chacun. C’est le cas pour Maternal.

Après que Paola a ouvert la porte du hogar, nous sommes transportés dans l’univers des filles : Luciana pousse avec son pied une porte, entre dans la salle de bains et raconte à Fatima ses relations sexuelles. Apparaît Nina, la petite fille de Luciana. Une ellipse nous repositionne dans un couloir du hogar, la caméra est hors champ, nous entendons parler des personnages sans les voir. « C’est le moment de vérité. », nous comprenons que c’est la supérieure du couvent qui prononce cette phrase. Paola est accueillie. Paola va faire la connaissance de Luciana et de Fatima. Une relation d’amitié et de confiance va se développer entre Paola et Fatima, à tel point que Luciana va en être jalouse et aura des rapports durs et conflictuels avec la jeune religieuse. Une scène est fortement significative à cet effet. Paola, Luciana et Fatima sont dans la chambre des deux filles. Paola essaie de se rapprocher de Luciana qui la rejette avec méchanceté et des violences verbales. Luciana se sent exclue de la relation qui lie Paola et Fatima.

À la moitié du film un événement important se produit : Luciana s’enfuit du couvent. Paola va petit à petit jouer le rôle de mère de substitution auprès de Nina, la petite fille de Luciana, jusqu‘ à accepter que Nina vienne dormir dans sa chambre.

Les religieuses se rendent compte que Paola s’occupe de plus en plus de Nina et que la petite fille dort souvent la nuit dans la chambre de Paola. Elles vont enlever de la chambre le lit de Nina.

La maternité, véritable héroïne du film.

  • Comment le film questionne-t-il ce qui constitue la maternité, sa nature, ses désirs et ses difficultés ?

La maternité est la véritable héroïne de Maternal. Elle influe sur les trois personnages principaux. Elle les oblige à changer, à déplacer leur baromètre émotionnel.  Maura Delpero s’intéresse au thème de l’instinct maternel. Est-il défini par un lien de sang ou s’associe-t-il plus à des dispositions à la tendresse ?

  • Comment cela se traduit-il pour chacune des femmes ? Retracer l’itinéraire de chacune.

Luciana est déchirée entre le désir d’élever Nina et celui d’échapper à l’institution qui l’accueille pour rester aux côtés de son petit ami, un garçon violent. Luciana est vulgaire, insolente, instable, indisciplinée, colérique, jalouse, irrespectueuse mais c’est aussi une fille perdue. Quand Luciana voit concrètement la possibilité d’être séparée de sa petite fille, elle se transforme en une lionne qui défend son petit.

Quant à Fatima, c’est une jeune fille enceinte, timide, calme, renfermée sur elle-même avec un lourd secret qu’elle cache et qui certainement explique son manque d’affection à l’égard de son petit garçon Mickaël. « Tu n’as jamais fait de bisous à ton fils » lui jettera à la figure une fille du hogar. Résignée, elle accepte tout de Luciana. Mais la naissance de sa petite fille, l’attention que lui porte Paola vont la changer. Fatima découvre la joie de donner de l’amour, elle devient affectueuse envers ses enfants. Au retour de Luciana dans le foyer, elle ose affronter cette dernière et lui dire non.

Paola a un pied dans les deux mondes du hogar, volontairement bien délimités et séparés : celui des religieuses et celui des filles. Cette période est un moment de grand trouble pour Paola. Elle se lie d’amitié avec Fatima et quand Luciana s’échappe soudainement du couvent, elle se met à s’occuper de l’adorable fillette de Luciana, Nina. Paola crée une relation fusionnelle avec cette petite fille. Ce lien affectif va compliquer la relation de sœur Paola à sa foi. Paola découvre que l’amour totalisant, qu’elle cherche en Dieu, existe aussi sur terre : c’est l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant.

Les religieuses sont bienveillantes. Elles ne jugent pas les filles. La mère supérieure est vouée à servir Dieu et à veiller sur ces adolescentes dont elle respecte les fragilités. La parabole de la brebis égarée (Luc 15, 3-7) et la parabole du fils prodigue (Luc 15, 11-32) illustrent bien l’empathie de la mère supérieure. Mais elle incarne à la fois la loi divine et la loi des hommes, « Le juge décidera de vous laisser votre enfant ou non » dit-elle à Luciana, quand celle-ci réintègre le foyer.

Des oppositions très marquées séparent le monde des religieuses et celui des filles.

  • Quelle communication entre ces deux mondes ? Quelles images pour marquer cela ?

La communication est souvent délicate entre ces deux entités et les conflits sont latents. Lors d’une scène assez cocasse de Maternal, les filles dansent dans des tenues très légères, sur de la musique jouée à plein volume, tandis que les enfants dans la salle d’à côté regardent des dessins animés évangélistes à l’esthétique kitsch. Deux religieuses, dont l’une assez revêche qui ne sait que taper sur ce qu’elle a sous la main pour se faire entendre, montent la garde devant une porte fermée. Elles attendent en silence la fin de la fête.

La leçon de catéchisme donnée par une religieuse est fort drôle : elle explique aux enfants ce qu’est le modèle de la famille chrétienne, que les enfants interprètent comme la famille moderne.

Les tableaux sur les murs du foyer sont en contraste frappant avec les tatouages de Luciana et la décoration des chambres des filles.

Dans le hogar, la figure masculine est pratiquement absente.

  • Et les hommes dans tout cela ? Quel rôle pour le petit garçon ?

La figure masculine est absente comme dans la réalité dont le film s’inspire. Cependant Mickaël a un rôle important : il rassure sa maman : « Je vais bien m’occuper de toi ». Il apporte un regard nouveau. Pour lui la famille composée par sa mère, sa petite sœur et lui, est déjà, à sa manière, une famille modèle.

Une unité spatiale et temporelle

  • Comment la réalisatrice traduit-elle l’ambiance ? Comment montre-t-elle l’enfermement différent pour chacune ?

L’épure de la mise en scène, la caméra fixe, le silence façonnent ce film. Toute l’action se déroule à l’intérieur du foyer. Seulement quelques scènes filmées sur le toit donnent ainsi un aperçu de la ville. Nous sommes dans un microcosme, le foyer avec les religieuses et les adolescentes, et dans ce microcosme fourmillent d’autres microcosmes : la communauté religieuse, le groupe des adolescentes, Fatima et Luciana, Paola et Fatima. C’est une situation avec des portes fermées, des couloirs avec des peintures et des statues, des fenêtres avec des barreaux, une coursive qui délimite le monde des filles et celui des religieuses… La caméra fixe renforce cette sorte d’enfermement. Nous sommes dans un « ici » et « maintenant ». Nous ne connaissons pas le passé des personnages, ni leur avenir, ni leur projet.

Que penser de la fin du film ? Quel objectif pour la réalisatrice ?

Bien que le dénouement du film soit bouleversant, il y a un refus total de moralisme. La réalisatrice pose un regard bienveillant et très humain sur ses personnages. Pudique et épuré, Maternal est aussi une œuvre sensible sur une femme, Paola, écartelée entre sa foi et ses impulsions naturelles.

Soulignons enfin que Maura Delpero, préoccupée par la maternité d’adolescentes en Argentine, pose de façon indirecte dans son film le problème de la contraception et de l’avortement interdits dans ce pays.